Review du documentaire "Les étoiles vagabondes" de Nekfeu : la fuite pour mieux faire renaître la plume
Passage à vide, envie de fuir… le rappeur se livre sans artifice.
On apprend au journaliste à ne pas parler à la première personne. Pourtant ce soir, dans ce premier paragraphe j’aimerais le faire. Ma première rencontre avec Nekfeu remonte à 2012. J’étais stagiaire et le Fennec venait de sortir La Suite avec son groupe 1995. Il m’avait suffit d’un message envoyé sur Messenger pour que l’homme à la coupe de cheveux la plus enviée de Paname à l’époque, réponde un soir tard à mes questions (PNL n’avait pas encore le monopole des veuch adulés). “J’espère que je n’ai pas fait trop de fautes j’ai répondu foncedé” lâchait-il à la fin d’une longue tirade. Aucune faute d’orthographe, peut-être quelques coquilles oui, mais surtout des réponses de 15 lignes sous chacune de mes questions. La générosité des mots, du temps. C’est ce que vous retrouverez dans ‘”Les étoiles vagabondes” documentaire co-réalisé par Nekfeu avec son ami de longue date Syrine Boulanouar. Ce don du récit, du soi intérieur. Ce désintéressement de la célébrité au profit du partage. De Mytilène en Grèce, île de ses grands-parents, des montagnes du Japon en passant par les effluves du jazz de la Nouvelle Orléans, Nekfeu vous offre un voyage, une expédition dans ses méandres, une montée des marches dans son escalier intérieur. Une ascension sans filtre avec sa retenue habituelle en bandoulière, comme lors de cette scène en studio à Bruxelles avec Damso : “là je suis un peu timide mais tout à l’heure devant le micro ça sera mieux”.

Image tirée du documentaire “Les étoiles vagabondes”.
“C’est la première fois que je me retrouve devant une feuille blanche gros” confie Nekfeu à Doums sur un toit de Paris. Le papier est vierge, la peine immense, l’envie de fuir nécessaire et vitale. “Avec la célébrité je me sens comme un étranger dans ma propre ville (…) et quand ça ne va pas je fais ce que je fais de mieux : fuir”. Cette fuite c’est “Les étoiles vagabondes”, un documentaire de plus d’une heure et demi composé de 6 chapitres. L’errance débute en Grèce, pays de la prise de conscience qu’il faut partir loin pour retrouver le goût des mots. Comprendre que les fées ne viendront chatouiller les lignes des pages que lorsqu’elles seront apaisées, loin du tourbillon de Paris. Mais pas sans l’équipe, sans les autres étoiles de la galaxie du Fennec. Celles qui brillent tard le soir depuis le début. Diabe, véritable colonne vertébrale du nouvel album, son S-Crew pour se rappeler les chose simples : “Moi je fais du vélo dans Tokyo, je suis heureux frérot” (Framal), Alpha-Wann l’encyclopédie du rap français, Hologram Lo le faiseur de beat et tant d’autres… “Ce soir j’ai joué devant 80 000 personnes et je ne me suis jamais senti aussi seul”, lance le garçon qui pendant deux ans aura eu besoin de vivre ailleurs. Dans un appartement à Tokyo avec un studio monté de toutes pièces dans un placard avec des futons en guise d’insonorisation, dans une maison à Los Angeles où deux lits superposés debout dans le salon forment la cabine d’enregistrement ou encore sur un trottoir de la Nouvelle Orléans avec un street batteur qui a échappé à la fusillade de Las Vegas en 2017.
“Moi je me nourris des autres, en réalité je ne suis qu’un haut parleur”. La casquette est vissée sur le crâne, la visière un peu basse pourtant l’horizon se dessine, celui d‘un album mis en ligne tout juste après la fin de la diffusion du documentaire dans plus de 150 salles à travers la France mais aussi au Maroc, en Belgique, au Luxembourg… Une séance inédite et simultanée qui s’est conclue par des applaudissements. Le fennec est adaptée à la vie dans le désert, celui que Nekfeu vient de traverser est salutaire, parsemé d’oasis sous forme d’amitiés. Il faudra revoir “Les étoiles vagabondes”, pour rire, comprendre davantage l’artiste, apprécier cette mise à nue, mais aussi se rappeler que même si votre ciel est noir la lumière se rallume toujours en appuyant sur l’interrupteur de la sobriété.
On soulignera l’habilité de Syrine Boulanouar à s’effacer au fur et à mesure pour ne laisser que des moments de vie bruts, sans artifice, sans mise en scène. Une lumière dans les salles obscures.