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Diabi, l’architecte

“Si je mets un futon en haut et un autre ici, je pense que ça sera pas mal”. Non, cette phrase n’est pas tirée de la série Netflix L’art du rangement par Marie Kondo. Ces quelques mots sont prononcés par un tout autre architecte : Diabi, à qui l’on doit les deux derniers albums de Nekfeu sortis en juin dernier, Les étoiles vagabondes et Expansion. Si vous n’avez pu assister à la projection du documentaire du Fennec (désormais disponible sur Netflix), le visage de Diabi ne vous est pas familier, la première phrase de cet article non plus. Elle est prononcée par le garçon qui du haut de son bon mètre 80, debout face à un placard vide avec deux futons japonais installés à l’intérieur, tente d’improviser une cabine d’enregistrement. Construire. C’est ce que Diabi a fait durant ces 18 derniers mois. Bâtir des studios de fortune mais efficaces dans un appartement à Tokyo ou LA, dessiner le squelette des deux albums de Nekfeu, composer des prods pour le roi des figures de style jusqu’à l’épuisement. D’habitude dans l’ombre, la caméra de Syrine Boulanouar a fait de Diabi le second personnage principal du documentaire. À tel point que le discret garçon nous l’avoue lui même : “J’ai failli leur dire de tout annuler, on me voyait beaucoup trop“. Rencontre un après-midi d’été dans son studio, logé dans une petite allée de Clamart en région parisienne.

HYPEBEAST FRANCE : Tu es un grand discret, un grand timide aussi, alors commençons par le début. D’où vient Diabi, comment te retrouves-tu derrière les deux derniers albums de Nekfeu ?

Diabi : J’ai commencé par faire du rap avec des potes lorsque j’avais 17 ans environ. Personne ne voulait nous filer des instrus alors j’ai voulu commencé à faire des prods et tout s’est inversé. J’ai fini par préférer en faire qu’écrire des textes. Le besoin s’est transformé en kiff. J’ai diggué, écouté et je m’y suis pris à fond. Faire de la musique, c’était devenu ça pour moi.

On est sur du self-made alors ? Tu as appris tout seul ?

Non j’ai fait une école d’ingénieur du son l’année de mes 20 ans. Ça m’a toujours fasciné, comment agencer des musiques, assembler les pistes, le mixage, l’enregistrement… Ça me fascinait plus que faire du rap. De là j’ai fait deux ans d’étude et ce que j’apprenais la journée, je le mettais en pratique au studio le soir. Je bidouillais beaucoup. C’était vraiment juste une envie, sans but.

Jamais tu ne t’es dit “je vais faire des prods pour le rap français plus tard” ?

Jamais. Je voulais juste comprendre comment ça se passait en studio, comment se passe la musique. Je ne peux pas expliquer pourquoi mais c’était presque de l’ordre de la médecine.

Tu as quel âge Diabi au fait ?

J’ai 27 ans et pourtant j’ai l’impression d’être encore tout nouveau, il y encore plein de choses que j’apprends au fur et à mesure. Je n’ai pas de formation musicale par exemple, à l’école de son que j’ai faite, on ne nous apprend pas à jouer de la musique mais plutôt à la comprendre. Le beat-making c’était additionnel, là je veux réussir à être musicien

Qu’est-ce qui se passe alors à la sortie de l’école ?

En réalité j’ai arrêté au milieu de ma deuxième année d’étude, à l’époque j’avais déjà des connexions avec Georgio, Doum’s, Alpha Wann et d’autres. Je sortais des cours et je les retrouvais en studio le soir jusqu’à ce que ça se transforme en tous les jours. D’ailleurs Doum’s, Népal et Georgio, c’est les mecs qui m’ont le plus formé. C’était une époque folle quand j’y repense. On était dans “La Folie des Glandeurs” (mixtape de 2fingz en 2013, ndlr), j’allais en cours de 8h à 17h, je dormais pendant les cours qui ne me plaisaient pas et le soir on se retrouvait au studio 75ème Session et j’enregistrais. C’était ce que j’appellerais mon crash test. J’apprenais et je mettais en pratique dans les mêmes 24h. Ça a vraiment été un accélérateur car les gars avait déjà un petit public à l’époque donc je voyais les retours en direct, je pouvais corriger au fur et à mesure. J’ai quitté l’école quand Georgio m’a proposé de le suivre en tournée.

Le grand bain alors…

Je me suis dit “allez, je m’y mets à fond”. Ça n’avait pas forcément de sens, on était payé 100 euros par concert, c’était quand même une galère financière et petit à petit… me voilà là. Je suis aussi passé par Don Dada, ai enregistré Alpha Wann, mixé ses sons, l’ai produit…

Diabi le couteau suisse en fait ?

Les gens m’appelaient surtout pour les enregistrer. Je prenais un grand plaisir à le faire. J’aimais bien me casser la tête sur comment les voix doivent sonner. Tout ça avec des rappeurs que je kiffais donc imagine comme c’était gratifiant. À la base, c’était vraiment l’enregistrement ma mission, mais je me suis retrouvé à mixer des sons, masteriser des projet. Faire des prods c’était mon passe-temps, j’en mettais sur mon soundcloud de temps en temps, mais c’était vraiment pour moi. Après je les faisais écouter, mais c’était très compliqué pour moi de proposer une instru à quelqu’un en particulier.

Pourquoi ?

Parce que si tu me dis : “j’aime pas trop celle là pour x raisons”, je vais vraiment le prendre très à cœur. Ça va me miner pendant un mois entier. Ça va être une déception trop forte, je vais me dire : “si tu l’as dit c’est que tu as raison, c’est que c’est pas bon”. La plupart des morceaux que j’ai placé ce sont des gens qui ont écouté sur mon ordi et qui spontanément ont voulu telle ou telle instru. Humanoïde de Nekfeu par exemple, je checkais juste la qualité du son sur mes enceintes en jouant mes prods et c’est lui qui m’a dit : “mais attends, attends c’est quoi ça ?”. J’ai vraiment du mal avec ça, par timidité. Il n’y a que sur Les étoiles vagabondes et Expansion où j’ai dû créer spécialement pour une personne parce qu’on était dans une démarche de réalisation. Pour l’instant il n’y a que Ken qui peut me faire une remarque sans que ça ne me mine, ça va me motiver avec lui.

Il y a une scène d’ailleurs dans Les Étoiles Vagabondes où on voit Nekfeu dire qu’il n’aime pas trop l’instru sur laquelle deux mecs ont bossé comme des malades toute la nuit. Ils finiront d’ailleurs par prendre l’air quelques jours.

Et bah tu vois, ça, moi ça m’aurait totalement mis à plat (rires). Je l’aurais mal pris, pas vis-à-vis de l’artiste mais vis-à-vis de moi-même. Je me serai dit : “t’as fait un mauvais taf mec, va falloir se renouveler”.

À l’inverse quand on regarde le documentaire, on a vraiment l’impression que c’est toi qui guide voire lead Nekfeu. Tu es véritablement l’architecte, en plus c’est drôle quand on sait que tu construis vraiment des studios de fortune, mais c’est toi qui organise avec bienveillance tout le planning de la journée. Tu lui fais remarquer en douceur qu’il a disparu toute la nuit précédente, par exemple.

J’essayais toujours de l’aider au mieux. L’album on l’a réalisé à deux, mais j’avais vraiment la volonté de l’accompagner. Je souhaitais le mettre dans les meilleures conditions possibles pour qu’on puisse bosser, amener son projet à terme. Pareil avec tous les beatmakers qui étaient du voyage, que tout le monde soit à son aise pour qu’on puisse livrer le meilleur produit possible. Rallier les troupes, mettre tout le monde sur la même note pour qu’on puisse marcher de la même façon.

Le moniteur de colo quasiment.

C’est pas vraiment le rôle que j’ai cherché à avoir. Ça m’est tombé dessus avec l’album Cyborg. Les gens ne le savent pas forcément mais le rôle que j’ai endossé sur Les Étoiles Vagabondes, je l’ai eu aussi sur Cyborg. On l’a enregistré au Studio Don Dada et il y avait tellement de monde qui passait, j’ai fait un peu le shérif (rires). Je cadrais involontairement et les gens suivaient. C’était fou, je leur disais : “mais il ne faut pas m’écouter moi”, et puis au fur et mesure c’est devenu naturel. Toujours dans l’optique de faire avancer les choses et que ça soit plus pratique pour tout le monde. Quand tu es un artiste, tu dois penser à tellement de choses à la fois, je voulais juste faciliter le travail pour tout le monde et qu’on avance.

Si tu devais te ranger derrière une dénomination, ça serait laquelle alors ?

Producteur je dirais mais vraiment au sens américain du terme, où tu touches vraiment à tout (composition, enregistrement, mixage, arrangement, etc…) et où tu accompagnes un artiste dans ses projets.

Tu dis que ça t’es tombé dessus mais est-ce que ça te plait de devoir finalement gérer tout ça ?

Complètement. Avant Cyborg déjà, en 2016, je me rappelle d’une discussion que j’avais eue avec Georgio. Je lui expliquais que j’aimais faire des prods mais que je voulais qu’un jour on réussisse à être en équipe et qu’on travaille ensemble, qu’on se réunisse. Je m’inspire vraiment du modèle américain dans la conception des choses. Ça me fascinait quand je lisais les crédits des projets aux US, de découvrir qu’il y avait autant de monde de cité. Je comprenais que ce n’était que de l’entraide. Plus tu as tous les cerveaux du même côté, plus tu arriveras à faire la meilleure musique. Ranger les égos et se mettre au service de la musique. je crois c’est ça la clé pour faire “step” les morceaux.

Il s’en est passé des choses en 10 ans finalement, entre tes débuts à 17 ans et aujourd’hui.

J’ai tellement l’impression que c’est une succession de chances tellement ça parait un peu fou.

De chance ? Carrément ?

J’ai l’impression que j’ai été là au bon endroit au bon moment. Je ne crois pas que c’est parce que j’ai été meilleur qu’un autre. Il y a du travail mais j’ai la sensation qu’il y a eu une part de chance.

On sent un manque de confiance en toi mais aussi à contrario une grosse confiance en l’équipe, entre vous.

Je ne dirais pas un manque de confiance en moi mais je dirais que j’suis plus à l’aise avec mes gars. C’est une équipe très restreinte alors c’est beaucoup plus facile. Je suis tellement reconnaissant d’avoir des gens comme ça autour de moi, Hugz, Lo, Loubenski, Selman… Ce sont des gens avec qui je peux discuter, on a les mêmes inspirations, ça me donne envie de faire des choses. Faire des sons à plusieurs et garder ce qui est essentiel au morceau. Essayer de diriger les gens pour qu’ils sortent le meilleur d’eux-même, c’est ça que j’aime.

Cette bienveillance que l’on sent dans tes mots, elle transpire à l’écran. Souvent Nekfeu ou les autres membres présents dans le documentaire, lorsqu’ils ont une question ça se finit par : “demande à Diabi”, dans l’attente des conseils que tu pourrais donner.

Après sur ce projet, je m’inspire beaucoup de lui aussi. Je propose plusieurs choses pour qu’il ait du choix mais j’attends toujours son aval et quand il valide je me dis : “c’était le bon truc”. On peut penser qu’il se repose sur moi mais je me repose aussi sur lui. Les gens ne s’en rendent pas compte. J’avais la même manière de bosser sur les tracks de l’album UMLA d’Alpha Wann même si c’est Lo’ qui cadrait davantage le projet.

Beaucoup de gens te découvriront dans le documentaire mais tu es derrière beaucoup d’autres projets.

Oui je bosse avec Alpha Wann, Doum’s, Népal. J’ai travaillé aussi avec Vald, Di-meh, Remy, Sneazzy entre autre. J’ai bossé avec Georgio aussi, j’étais son musicien de scène. J’ai dû d’ailleurs arrêter pour faire le film ! Je suis un électron libre, je suis un mercenaire (rires). Le rap c’est une grosse nébuleuse donc d’une façon ou d’une autre, on est amené à bosser les uns avec les autres. Si tu tends les lignes entre elles, on est tous connectés. Moi je me balade là-dedans, je gravite.

On te voit dans le film mais tu as aussi participé derrière l’écran.

On a fait la bande original du film avec Selman et Loubenski. Je me suis occupé du sound design du film, du montage audio et un peu du mixage avec des ingénieurs du son qui travaillent dans le cinéma. Finalement c’est un peu la même chose que sur un album sauf que là il fallait le faire sur un documentaire. Nous n’étions plus que cinq à la fin à bosser sur ce projet : Reeko, qui était derrière la caméra et au montage, Nekfeu et Syrine qui on fait la réalisation et du montage, Quentin qui était le preneur son et moi. On l’a fait en équipe ce documentaire.

Quel regard as-tu posé sur toi quand tu as vu le film ?

Je me suis dis “il ne faut pas écouter ce garçon, il est fou” (rires). Mais je me suis aussi dit : “Putain on l’a fait”. Je me rappelle d’une vidéo de Jay-Z en studio avec Timbaland, Pharrell Williams, c’était une pub pour Samsung. Je m’étais dis en voyant cette vidéo naïvement : “en fait c’est ça la réussite, il faut que je fasse ça un jour”. Et quand je me suis revu dans le documentaire j’ai capté que c’est ce que nous avons réussi à accomplir. Qu’une idée qui datait d’il y a 7 ans s’était finalement réalisée.

Sache que personne ne t’as pris pour un fou, en tout cas pas le soir de la projection du film.

“C’était inspirant”, voilà les premiers retours que j’ai eu et ça m’a beaucoup touché. Parce qu’il ne faut pas forcément beaucoup de choses pour faire de la musique. Tu peux prendre tout et n’importe quoi et tu vois ce que ça donne. Plusieurs personnes m’ont dit : “ah, mais je peux faire un studio chez moi ?”. Et comme on le voit dans le documentaire, pas besoin de claquer des milles et des cents, tu t’achètes un micro, tu prends un matelas, tu rappes, tu prends un logiciel craqué, tu fais tes trucs, tu balances sur internet et tu vois ce qui se passe. Alors si ce qu’on a fait et montré peut inspirer d’autres alors je suis content. “C’est accessible pour moi aussi”, c’est ça que j’aimerai que les gens retiennent.

Encore la notion de partage.

Ce que je fais dans le doc ce n’est pas révolutionnaire, beaucoup de gens dans notre industrie le font, mais le mettre en lumière sans artifice, sans fake, le montrer tout simplement : ça enlève l’imaginaire, le côté inaccessible que les gens ont automatiquement. Tu peux être tout seul dans ta chambre mec, sans un matos qui coûte une blinde, sans dix milles personnes autour de toi et faire ton projet !

Tu es le deuxième personnage principal de ce documentaire. L’histoire est centrée sur ton duo avec Nekfeu.

Quand j’ai vu les premiers extraits de Syrine, on n’avait pas encore fini l’album ni le doc, je me suis dis : “il faut tout arrêter. Je vais leur dire de tout annuler”. Je ne m’étais pas rendu compte qu’on me voyait autant, que Syrine m’avait autant inclus à l’image. Il était là, mais on l’avait complètement oublié derrière sa caméra. Et puis une fois le coup de stress passé, c’est retombé, j’ai pris sur moi.

On va spoiler Les Étoiles Vagabondes, mais tu fabriques plusieurs cabines d’enregistrements avec des clic-clac retournés à l’envers, des futons dans un placard. Y en a-t-il eu d’autres, des homemade studios ?

Oui à Barcelone, on a aussi enregistré là-bas, j’ai transformé un placard en cabine, pareil en Belgique, j’ai démonté un grand placard. Il était bien celui-ci. Au Mexique aussi, j’en avais fait une. On ne le voit pas dans le documentaire mais, au Japon, j’ai fait plusieurs cabines comme ça dans les différentes chambres. Pour l’anecdote d’ailleurs, à Tokyo il y a eu un tremblement de terre et une cabine s’est effondrée. J’étais dégoûté (rires).

D’où te vient cet amour pour le ré-ameublement ?

Je n’ai pas débuté dans un studio alors j’ai toujours dû ruser. C’est un prof qui m’avait donné ce conseil d’acoustique, pas besoin de panneaux d’insonorisation partout, il suffit de placer son micro au bon endroit pour que le son ne rebondisse pas. Quand tu comprends ça tu peux fabriquer ton studio où tu veux. Il faut jongler avec la débrouillardise. On dirait un savant fou (rires).

Toute cette épopée avec Nekfeu, ça a été beaucoup d’énergie…

Oui, là en ce moment j’ai plus d’idée. Je suis séché en terme de composition et ça me frustre. Tout est retombé mais j’en profite aussi pour réécouter, voir là où il y a des erreurs sur l’album pour ne pas les refaire et encore m’améliorer. Mais je suis plus positif qu’à la sortie de Cyborg.

Pourquoi ?

Parce que pas content, pas abouti comme j’aurais voulu le rendre. On l’avait fini à quelques jours près, comme Les Étoiles Vagabondes tu me diras, mais ici j’ai réussi à cocher toutes les idées que j’avais en tête. Pas sur Cyborg.

Vous avez vagabondé pendant plusieurs mois, maintenant que tu es de retour à Paris, à quoi ressemble ton quotidien.

Jouer à la console (rires). Mais je vais commencer à me bouger parce que j’ai l’impression que pour faire de la musique il faut vivre des choses. Je ne peux pas rester dans un studio et faire un travail à la chaine. J’ai besoin d’être nourri, ce sont des émotions la composition, je ne peux pas faire ça sur commande.

Justement après tout ça, il doit y avoir beaucoup de commandes.

Il y a eu pas mal de demandes, c’est vrai (rires). C’est particulier parce que parfois ce sont des prods que j’avais envoyées il y a 6 mois et que certains veulent que je mette de côté maintenant, alors que moi je les trouve complètement périmées. Mais je laisse couler, je sors de deux ans et demi de taf, ça va mettre un peu de temps avant de repartir, j’ai donné tout ce que je pouvais. À la fin je n’arrivais même plus à composer. J’ai aussi pas mal de gens qui m’ont approché pour avoir mon avis : “est-ce que tu peux écouter, qu’est-ce que tu en penses…”, on m’a découvert sous un autre jour. Il y a aussi eu pas mal de curieux qui sont arrivés sur les réseaux sociaux, et ça je n’étais pas forcément prêt. J’aime garder mon intimité.

Est-ce que parfois tu te dis que tu aimerais bien faire les choses pour toi, pour tes projets perso ?

Bien sûr, j’ai mes projets à moi. J’en ai déjà sorti même mais je n’ai pas de problème à travailler sur le projet d’une personne. Ça me parait normal, sinon j’aurais été une sorte de Kanye West, rappeur/producteur j’aurais tout fait moi-même pour moi-même. Peut-être qu’un jour, je ferai ça (rires). Je n’aime pas faire des prods, j’aime faire des albums, ma patte artistique elle n’est pas forcément sur une prod mais sur l’ensemble du projet, comment le mix est amené, comment les refrains vont être agencés, la manière d’enregistrer.

Est-ce qu’après ce projet avec Nekfeu, tu te dis que ça sera dur de t’investir autant avec un autre artiste ?

J’aimerais bien. Je suis déjà dans quelque chose qui fonctionne, j’ai besoin de me prouver que je suis bon. Je vais le dire très grossièrement mais, est-ce que ce n’est pas parce que je suis avec lui (Nekfeu, ndlr) que ça fonctionne ? J’ai envie de me prouver que non. J’ai besoin d’aller me frotter à autre chose pour ma confiance personnelle. D’être bousculé. Être dans un groupe qui fonctionne ça forme une bulle confortable, tu peux penser que c’est gagné. Pour moi, ce sera gagné quand j’aurai fait 10 projets comme celui-ci avec que des gens différents, même une personne que j’aurais pris d’en bas et que j’aurais réussi à amener là-haut. J’ai commencé à travailler avec lui sur la réédition de son album Feu, il était déjà en terme de notoriété ce qu’il est maintenant. Je me suis simplement greffé à un artiste déjà installé.

Besoin d’être stimulé et rassuré donc ?

Que je me dise que ce n’est pas forcément de la chance, peut-être que je suis bon. Je cherche à faire quelque chose avec quelqu’un d’autre pour me challenger, qu’on me challenge.

Dans le rap toujours ?

Pas forcément. Dans autre chose aussi. Les artistes que j’écoute ne sont pas uniquement des rappeurs. James Blake, Frank Ocean, entre autres, ce sont des artistes comme ça que j’écoute et qui m’inspire le plus. Dans le rap français, Niska, OrelSan, Damso… Je suis pas du tout fermé. Je voudrais essayer de faire des trucs  plus pop. En gros, faire des choses que je ne sais pas forcément faire. J’aspire à ça. C’est déjà ce qu’on a tenté de faire sur certains morceaux des Étoiles Vagabondes comme dans Alunissons.

Quel souvenir t’as le plus marqué durant ces deux ans de travail ?

Dans le documentaire, il y a une scène où on fait une session en studio avec un groupe de gospel à la Nouvelle-Orléans. Ça, ça m’a bousculé. Il y également un moment qui n’est pas filmé dans le reportage, nous étions tous réunis au mont Tsukuba (Japon) et je me rappelle prendre le temps de faire une sorte de photo mentale et me dire, c’est fou qu’on ait réussi à faire tout ça. Le glow-up est incroyable 7 ans après. On est en train de faire un album, ici, comme si de rien n’était. J’ai réalisé. À aucun moment le garçon que j’étais à 17 ans ne savait que ce moment allait arriver. À aucun moment je ne m’étais dit que j’allais vivre une situation pareille grâce à la musique.

Comment tu décrirais ta relation de travail avec Nekfeu ?

Je dirais que c’est mon sparring partner. C’est un échange permanent dans le travail et on ne s’arrête jamais. On tombe souvent d’accord sur les choses qu’on veut éliminer, les choses qui ont déjà été faites et qu’on ne veut pas réitérer dans sa musique. La contrainte ou consigne de l’album par exemple c’était : “je ne veux que des trucs qui ne ressemblent à rien d’autre“. Il est là, le kiff ! Bosser avec un mec qui est prêt à prendre des risques, avec une équipe même qui est dans la surenchère du risque. Il te dit oui là où d’autres artistes te diraient non. Et on en arrive à des titres comme Ciel Noir par exemple, en trois parties, du jazz au début, du gospel après, la prod change aussi “C’est quelque chose que je n’ai jamais fait, et bah c’est exactement ce que je vais faire” Voilà comment il réfléchit.

Où est-ce qu’on va te retrouver désormais ?

Sur d’autres projets j’espère et sur des missions bien différentes, producteur, ingénieur son, DA, mixeur, peut-être les quatre en même temps (rires). Je ne sais jamais quel rôle je vais endosser à l’avance. Sur l’album d’OrelSan je suis crédité comme enregistreur sur une track, sur l’album de Georgio je suis producteur et ingénieur son sur quelques titres, sur l’album d’Alpha je suis producteur enregistreur rappeur et mixeur aussi. Dès qu’on me propose un projet, j’le fait !

Mais parfois tu dis non ou jamais ?

Quand c’est les potes, c’est compliqué de dire non (rires).

Rien à voir, mais tu es une sur une photo dans un studio avec Nekfeu et Damso et les gens t’ont pris pour Krisy.

C’était drôle, Krisy m’a envoyé un message d’ailleurs en me disant qu’il était sur plein de forums d’enfants à cause de moi (rires). J’étais très content quand le teaser du doc est sorti qu’il se soit pris la sauce à ma place. J’étais tellement pas prêt à tout ça.

Pour quelqu’un qui est toujours resté dans l’ombre c’est un sacré coup de projecteur ce film.

Tu sais, je suis allé voir la projection du film à Paris, au cinéma à Cité. Je suis rentré incognito et quand je suis ressorti tous les gens me regardaient avec de grands yeux. Je me suis d’abord dit “mais pourquoi ils me fixent comme ça“. Et puis ils ont sorti leur téléphone pour des photos et là je n’étais pas prêt du tout. J’étais pas à l’aise. Il y a toujours un flou autour de qui je suis, ce que je fais, peut être que cette interview va faire en sorte que les gens comprennent.

Il y a quand même beaucoup de casquettes sur ta tête, alors pas sûr.

Moi, mes sources d’inspiration ce sont des mecs comme 40, Kanye, Dr Dre, Danger Mouse, des couteaux suisses. Des mec qui enregistrent, mixent, produisent… Je voulais être comme eux.

Et qui sortent deux albums d’un coup.

Je ne sais même plus comment on en est arrivé à se dire qu’on faisait deux disques (rires).

Deux ans et demi de travail ça veut dire beaucoup de temps pour faire des titres non ?

Oui et non. Il y a des morceaux, on a passé des mois entier à les travailler. C’était long. Et c’est pas parce qu’on avait beaucoup de titres qu’on s’est décidé à les séparer en deux. Je ne me souviens même plus comment l’idée est tombée. Je me rappelle juste lui dire : “t’es sûr on le fait ?” On s’est renvoyé la balle sans cesse pour savoir qui allait prendre la décision finale de définir qu’il y aurait 2 albums (rires). Au final, sans qu’on ne s’en rende compte, le projet commençait à partir dans ce sens là : un projet que tu peux couper en deux !

C’est ce qu’on ressent dans le film. Tu es là pour une mission : faire un album, mais tu ne sais jamais à quoi va ressembler le produit fini. C’est un voyage, évidemment géographique, mais aussi dans la réalisation.

Je me rappelle de Selman qui me disait quand on est revenu de Tokyo  : “je ne comprends pas où vous voulez aller”. Et moi de lui répondre : “t’inquiète mec, j’ai une idée bien précise”. Ça n’avait pas de sens pour les gens qui écoutaient simplement les maquettes, mais moi je voyais le squelette de l’album. Je savais comment j’voulais le séquencer et comment le proposer à Nekfeu. Fallait beaucoup se projeter, imaginer ce qu’il allait écrire, parfois je lui conseillais d’écrire sur tel ou tel thème pour que ça aille dans la continuité de ce fameux squelette. Lui pareil, il voulait des prod comme ça pour que ça rejoigne le tout. C’est de sortir la colonne vertébrale qui est toujours le plus compliqué dans un album, une fois que tu as réussi à la dessiner, tout s’ajuste autour.

Elle ressemblait à quoi cette colonne vertébrale ?

Ce sont les morceaux qui vont donner l’ADN de l’album : Les étoiles vagabondesAlunissonsTakotsuboElle pleutCiel NoirPremier pas et Ολά Καλά . Quand il y a eu ces 7 morceaux là, je voyais comment on pouvait agencer l’album. Ils ont une chronologie, une couleur et de là, tu vois ce qu’il manque.

Tu peux te relâcher maintenant.

J’étais très stressé pour ce projet (rires). Tu te dis que tu as quand même dans les mains l’album d’un artiste qui est très attendu. Il va forcément être décortiqué, très écouté, très regardé, donc tu as peur de faire une erreur, de ne pas être à la hauteur de sa réputation. Seule une vingtaine de personnes ont écouté les tracks avant que le double album ne sorte, un noyau. Des producteurs de certains titres n’ont pu écouter leur morceau qu’au même moment que le grand public.

C’était par peur que ça leak ? Pour garder le secret ?

Les deux. c’était tellement compliqué de garder un si gros projet secret, un film/deux albums, pour que rien ne leak, il fallait le partager le moins possible. Moi j’étais très maniaque, je vidais toujours les ordinateurs, je n’envoyais jamais les maquettes. J’étais une tombe. C’est la règle de base. À chaque fois qu’on me demandait : “tu taffes sur quoi en ce moment ?”, je répondais : “sur rien”. J’ai eu un petit moment l’excuse de dire que je bossais sur UMLA d’Alpha et puis quand ce projet est sorti, j’étais cuit (rires). On est très “corporate” dans l’équipe, on ne dit rien. C’est aussi pour cela que l’album physique n’est sorti qu’une semaine après les plateformes de streaming. Pour minimiser toutes les chances de leaks. J’aurais eu le seum si l’album s’était retrouvé sur internet avant le jour-J. Tous ces sacrifices pour un album sur WhatsApp.


Credits
Editor
Hanadi Mostefa
Photographer
Thomas Barthélemy
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