On a parlé de dessins, de photos et d'Ateyaba avec Charlotte Gainsbourg - Interview

Rencontre avec l’artiste qui sort un livre retraçant la création de son dernier album “Rest”.

Musique Art 

Dans un livre “Rest” imaginé pour accompagner son album du même nom sorti en 2017, Charlotte Gainsbourg dévoile ses dessins, ses photos et quelques notes d’écriture. La mise en abyme d’un projet qui lui avait déjà demandé de se dévoiler un peu plus, plus intensément. Dans l’album “Rest” Charlotte avait écrit ses textes pour la première fois. Des mots en français qui sont devenus le porte voix d’une femme qui a décidé de s’assumer. Loin de Paris, à New-York l’artiste apprend à se sentir complète, à embrasser ses imperfections, à “lever les yeux” comme elle le dit elle même dans cette interview où elle se confie sur son voyage personnel. Assise dans une galerie du 3ème arrondissement de Paris, Charlotte Gainsbourg se ronge un peu les ongles, rue des Filles du Calvaire. Pourtant la fille devant nous semble avoir laissé quelques uns de ses martyres derrière elle. Quelque part sur un film de pellicule, sur un bout de papier ou encore dans un studio avec Ateyaba (Joke). Rencontre.

Vous sortez un livre qui montre les coulisses de votre album Rest, vous vouliez qu’il “reste” justement encore autrement cet album ?

Je n’avais jamais pensé à ce jeu de mot en français mais c’est vrai qu’aujourd’hui ça fait plus d’un an que l’album est sorti et je réalise que je n’ai pas envie ça s’arrête, que cet album là s’arrête. Même si je sais qu’il faut que je passe à autre chose. Je m’y accroche un peu. Il me restait pas mal d’images alors j’ai décidé de lier l’audio au papier. J’avais peur d’avoir l’air prétentieuse avec le côté livre j’ai eu un petit peu de mal à l’assumer. Si ce livre existe c’est aussi et surtout grâce à mon amie Nathalie Canguilhem. Depuis le début elle me pousse à faire beaucoup de choses, à assumer de faire mes propres clips. Là elle m’a dit que j’avais assez de matière pour faire un livre et… je me suis lancée. J’étais à NY je ne me sentais pas jugée. C’est de cette période que datent les photos et les dessins dans le livre. C’est vraiment là-bas qu’il a pris forme d’où le parallèle entre le cimetière ici et les rues de New-York là-bas. C’est quand même un regard très très solitaire sur ce qui m’entourait et m’entoure encore. C’est une vision… qui me ressemble.

On peut y voir vos notes d’écriture à coté des paroles de vos chansons ? Comment composez-vous justement ?

L’idée c’était d’avoir des graffitis, que ce ne soit pas forcément pour les mots eux-mêmes. Au départ ça fait tellement longtemps que j’essaie d’écrire, et que je n’en suis pas satisfaite, que j’avais plein de petits bouts à droite à gauche… des brides de mon journal intime. Ça partait de ça l’écriture. Il a fallu que ma maison de disque me fasse rencontrer des gens pour me faire accoucher enfin de textes. J’ai aussi réalisé pendant tout ce travail d’écriture que quand les textes étaient retravaillés de façon plus rythmés avec des refrains qui leur donnaient l’air de chanson, ça ne me plaisait plus. Ce n’était plus moi. Il m’a fallu tout ce temps pour comprendre que toutes mes maladresses ou toutes les imperfections c’était ça qui me ressemblait, et c’est ça que je voulais transmettre. Ça m’a pris du temps aussi de dire à Sebastian, c’est moi qui veut écrire les textes de cet album. On réfléchissait à des auteurs au début. Et puis j’ai assumé de lui dire. Il me validait mes textes et c’est ça qui m’a aidé à les chanter. Tout ça pour dire que je suis partie de textes parfois et je les ai fini grace à sa musique.

Écrire vous a permis de vous assumer j’ai l’impression. Ce livre est-il le livre de Charlotte qui s’assume ?

En tout cas avec moins d’appréhension. Je crois vraiment que c’est la distance, sur une terre qui n’est pas la mienne (à NY) je me sens plus libre de faire ce que je veux. Parce que les gens s’en foutent et que tout le monde touche à tout là où je suis. Autour de moi il y a de nombreux artistes alors faire de la photo ou du dessin ce n’est pas un gros enjeu. Je pense que si j’étais restée en France, je n’aurais pas osé. Evidemment que c’est moins bien que ce que j’espère, que c’est moins bien que la personne que j’admire le plus qui est mon père. C’est trop compliqué ici d’assumer. Je réalise que là bas j’ai pu ouvrir les yeux et regarder. À Paris je me regarde moins. Je n’ose pas lever les yeux. J’ai été timide pendant très longtemps et j’ai ce visage là maintenant et j’ai du mal à le faire évoluer.


Crédit photo : Charlotte Gainsbourg

Dans ce livre on découvre vos dessins, que des femmes. Qui sont-elles ?

Ce ne sont que des autoportraits parce que malheureusement je n’ai pas de modèle. Maintenant je vais dans une école où il y a des modèles de nus mais pas pendant la réalisation de l’album. J’ai eu la chance de faire une école de dessin après mon BAC. C’était une de mes meilleures années, juste le fait de pouvoir regarder différemment. Et puis ça paraissait improbable de passer autant de temps à faire ce qu’on aime faire. On sortait de l’école, le BAC, toute la galère et tout d’un coup c’était une année où on pouvait aller au musée. Mais je voulais et je veux des modèles parce que c’est très chiant de se faire des autoportraits. Je ne peux pas faire d’après des photos. Dans cette école où je suis allée ils vous expliquent que si vous dessinez d’après une photo il n’y a pas de vie. Alors je fais ce que je vois en me regardant dans le miroir. Je dessine aussi mes enfants quand ils dorment (rires). Pour qu’ils ne bougent pas trop quand même.

Vous devez vous regarder longtemps dans le miroir du coup. Qu’est ce vous ressentez en vous observant ?

J’aime beaucoup mes défauts et j’adore dans le dessin insister sur des traits ingrats. Une maigreur… Des choses qui ne sont pas dans les codes de beauté. Ça me plait et c’est une façon de m’assumer complètement, de me regarder sans aucune gêne. Il y a des dessins plus dénudés que je n’ai pas mis dans le livre mais le côté, je ne dirais pas obscène, mais peut-être un peu cru j’aime bien.

Justement on voit beaucoup votre corps sur ces dessins, quel est votre rapport à celui-là ?

D’abord je vieillis, alors j’ai un rapport un peu différent avec le temps. Je me suis accommodée du corps que j’ai, il me rend bien service. Avec la mode on rentre dans les vêtements c’est plus facile mais je suis vraiment pas dans les codes de beauté féminine. On a envie de plaire c’est sûr et puis je fais un métier où on est là-dedans quand même. Je ne me suis jamais sentie comme une femme et je crois que, malheureusement, je vais passer d’une idée de jeune fille à une vieille femme. Il n’y aura pas eu l’étape de femme parce que je ne l’ai jamais assumé. Je n’avais pas le corps d’une femme mais en dessinant je me suis rendue compte à quel point j’aimais les corps. Je suis allée dans des bains mixtes à Budapest et c’était beau de voir tous ces corps différents sans aucune gêne de la nudité. Il y avait une lumière obscure incroyable qui se mêlait à la vapeur d’eau… Enfin, c’est mon nouveau trip je suis obsédée par ça maintenant (rires).

Vous dessinez, vous écrivez… vous avez un autre talent que l’on a pas encore découvert ?

Je ne m’assume pas comme photographe, c’était vraiment le métier de ma soeur. Je l’admirais tellement mais en même temps de m’être mis à la photo je le prends un peu comme un hommage. J’avais une petit appréhension à me considérer photographe alors que je n’ai rien fait mais j’y ai pris goût. Je me suis achetée un Hasselblad, ça me plaît beaucoup beaucoup j’ai envie de continuer.


Crédit photo : Charlotte Gainsbourg

Vous parlez de votre soeur et dans votre livre vous lui consacrez une double page, à votre père aussi. Sur celles-ci on peut y voir des tombes. Vous disiez récemment avoir eu du mal à aller sur la tombe de votre père justement. Ce livre Rest est-il aussi votre cimetière en quelque sorte ?

C’est complètement mon rapport au cimetière et à ce qui me restait d’eux. Ce départ à NY c’était pour échapper à trop de peine et un décor trop familier. Je n’étais jamais aller au cimetière sur la tombe de mon père, j’osais pas j’étais très mal à l’aise. J’allais plutôt dans sa maison que  j’ai eu le chance de garder alors j’allais chez lui pour être avec lui. Quand ma soeur est morte ma mère a trouvé cette tombe tout près de lui et c’est à ce moment là que j’ai pris l’habitude d’y aller tout le temps. C’est devenu familier, c’est triste et très éprouvant mais je ne peux plus m’en passer. Le fait d’y être allée si souvent, prendre des photos, à la tombée du jour, voir ces gens chez qui on devine ce qu’ils ressentent, et on est dans la même position qu’eux. C’est particulier les cimetières, je ne m’en rendais pas compte avant, je ne savais pas, je n’avais pas fait gaffe. On occulte tellement les morts dans notre culture, c’est tabou ça gêne tout le monde, c’est vrai que d’embrasser ça de manière plus assumée, plus régulière, d’avoir un espèce de rituel… J’ai même emmené mes enfants. C’est un truc aussi que j’imagine, je transmets et j’aime bien ça.

En 2018 vous disiez vouloir transformer la maison de votre père en musée… C’est toujours le cas ?

J’avance tout doucement mais j’étais sur le point d’acheter un appartement juste a coté, mitoyen pour que la visite soit plus cohérente parce que sa maison en elle même est toute petite. Et ça s’est pas fait. Et comme je ne veux rien changer à ce qu’il a laissé ça me demande du temps. Mais je suis dans la dynamique que ça se fasse, même si j’ai fait des marches arrière. Il y avait à l’époque un film, un livre, une exposition sur lui et ça m’a fait faire machine arrière. Je me suis rendue compte que je ne voulais pas partager ça, je me sentais encore très fébrile et je pense que ça sera très douloureux et compliqué pour moi mais ça n’a pas de sens de garder cette maison comme ça juste pour moi. Ça n’a pas de sens. Et je ne peux rien faire. Je ne peux pas la vendre, pas la louer, pas l’habiter alors il faut que ce lieu existe pour ce qu’il représente aussi et l’émotion qu’il peut donner à d’autres personnes. Il faut que j’ai cette générosité de me dire que je peux partager ça. C’est par étape, je vais condamner le premier étage. Seule la pièce qu’il faisait visiter, sa cuisine seront accessibles mais pas sa chambre au 1er étage.

En vous écoutant on vous sent plus apaisée…

Je réalise que j’ai un amour tellement démesuré pour mes parents, tellement inconditionnel, jusqu’à y à pas si longtemps ça m’étouffait. Je ne pouvais pas respirer sereinement, il fallait que j’occulte à chaque fois pour essayer d’exister. Et enfin, je pense que c’est en faisant des concerts, en écrivant en français quitte à ce que ça soit moins bien et tant pis j’assume. Ça c’était la première étape et puis ça a été aussi de chanter Charlotte Forever et Lemon Incest, des chansons que j’avais chanté avec mon père et auxquelles je n’avais pas touché depuis. J’ai réalisé à quel point c’est précieux tout ce qu’il m’a donné. Ce que ma mère aussi m’a transmis. Mine de rien tout est grâce à elle mais comme elle n’en parle pas, comme elle est discrète par rapport à ça et elle l’a fait de façon tellement douce. C’est elle qui dessine… Ça a toujours été une porte ouverte. C’est moi qui ai lutté contre plein de trucs finalement. Elle a voulu ouvrir toutes ces portes là pour nous, mon père lui il a fait avec moi. C’était sous ses “ordres”, je le vénérais. On a fait des photos, des films, des chansons ensemble. Aujourd’hui dans mon souvenir il n’y a rien qui égale ça. Alors oui peut être que je suis plus apaisée, mais surtout, je comprends aujourd’hui. Et puis la prise de distance avec la France. Quand je suis à NY les gens s’en foutent de mes parents. J’ai pu exister, moi. Je me sens beaucoup moins obligée d’être polie, obligée de sourire. Les gens sont tellement gentils et bienveillants face à mes parents que je ne peux qu’être polie. Là-bas j’ai pris de la distance qui me permet quand je reviens ici d’avoir un regard sur ce qu’ils m’ont laissé. Je vois enfin.


Crédit photo : Charlotte Gainsbourg

Vous réussissez à voir ce que vos parents vous ont donné, comment le faites vous rayonner sur vos enfants ?

J’aimerais leur donner le plus de liberté possible, les inciter à faire des choses sans les pousser, sans les forcer. Si je pouvais leur donner l’idée que tout est ouvert tout est possible. Qu’ils voient qu’on peut tout se permettre.

On ne peut pas vous quitter sans vous parler de ce cliché de vous et Ateyaba, anciennement Joke, qui traine sur les réseaux sociaux depuis un petit moment. Il y a vraiment une chanson ?

C’était il y a longtemps. Il y a une chanson que je n’ai pas écouté finie. On discute toujours, rarement mais on s’envoie des textos. J’ai compris qu’il mettait du temps à finir son album et qu’il avait ses préoccupations. Mais je suis très patiente et j’attends de voir si le titre figurera dans son album. Je ne sais pas, je ne le pousse à rien. Moi c’est un titre que j’ai adoré faire après j’ai très envie d’écouter son album, avec ou sans moi. Je le connais grâce à Nathalie Canguilhem et j’ai adoré le rencontrer, il a une poésie. Elle m’a montré un clip qu’ils ont fait ensemble, que j’ai trouvé tellement beau. Il se dévoile beaucoup j’ai trouvé ça très touchant. En fait c’était pas la personne que j’avais vu c’était encore une autre facette de lui. J’ai hâte qu’il montre tout. Mais j’ai compris que c’est très difficile d’estimer qu’un album est terminé. Là sur “Rest” c’est moi qui ai écrit, c’était dans mes mains. J’arrivais pas à le terminer, je voulais encore faire des titres, je voulais rechanter, je n’aimais pas les voix… Tout pour pas finir. On trouve toutes les excuses (rires).

Par peur ?

Oui. Par peur de se dire voilà l’objet est terminé. Qu’il faut passer à l’étape d’après, il faut faire les visuels… D’un seul coup c’est paniquant on est tellement dans une bulle à faire des enregistrements en studio, à parler en petit comité. L’idée de rendre ça public, surtout quand c’est personnel ça devient beaucoup plus compliqué. Il y a des gens qui arrivent à être dans le premier jet. Moi par exemple j’ai réalisé que j’aimais tout changer, les mots. J’ai envie d’étapes.

Dans votre livre pourtant tout parait simple, on peut le lire dans n’importe quel ordre…

Je ne sais pas ce qu’on va se dire en lisant ce livre. Il n’y a pas de début ni de fin c’est vrai qu’on peut le feuilleter dans n’importe quel ordre. D’ailleurs ça me fait penser à Instagram que je commence je crois ce soir… J’ai été tellement réticente ça m’angoisse beaucoup et en même temps je crois que je peux y prendre goût. Il faut juste que j’y trouve un biais.

 

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