Comment Les Médias Américains Ont-Ils Réagi Face Aux Récents Commentaires De Kanye West Sur L'Esclavage
Une presse pour l’instant unanime.
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Simple stratégie commerciale en vue de son prochain album ou véritable envie de revenir sur le devant de la scène médiatique, Kanye West a fait le choix de sortir du silence. Le garçon semble avoir choisi l’overdose des mots et enchaîne les prises de parole polémiques. L’artiste américain, en plus de son compte Twitter comme relais premier de son discours, multiplie les interviews. La dernière en date un live avec le site TMZ, véritable institution de la presse people aux USA. Longtemps en beef avec le tabloïd, Kanye West a décidé de se réconcilier avec la newsroom du média en accordant près d’une heure de conversation fleuve. Durant cette apparition, Kanye West a évoqué de nombreux sujets, dont sa relation avec Nike, Trump et sa vision de l’esclavage. C’est ce dernier point qui a fait se soulever de nombreuses célébrités mais aussi des médias américains. Silencieuse sur les récents agissement de Ye, la presse américaine semble aujourd’hui prendre position à travers de nombreux éditoriaux qui viennent souligner une pensée (presque unanime).
Unanime sur une mauvaise lecture de l’Histoire américaine
Dans un long éditorial intitulé “I Miss The Old Kanye, qu’est-il arrivé à la star du rap la plus complexe” et publié sur The Guardian, le journaliste Ben Beaumont-Thomas met en lumière la position de Kanye West ”victime d’une culture de plus en plus dogmatique et polarisée – celle créée en partie par son choix et celui et de Trump, d’utiliser comme porte voix Twitter”. Il insiste également sur l’amour que Kanye West porte pour la population afro-américaine aux USA tout en voulant mettre fin au spectacle qui se joue à guichet ouvert : “Dans la foulée de ses commentaires sur l’esclavage, le sketch cesse d’être marrant: l’ancien Kanye manque vraiment à la communauté afro des Etats-Unis. Le rappeur Meek Mill a résumé les pensées de beaucoup en postant une image de Kanye sur Instagram, légendée par les mots “RIP Old Kanye” et citant les paroles de Kanye : “Je ressens la pression, sous plus de contrôle / Et qu’est ce que je fais ? J’agis plus bêtement.” Le journaliste insiste également sur l’égocentrisme qui semble ronger le talent de la star : “Le problème est que l’auto-examen de Kanye est devenu si avancé qu’il commence à voir le monde purement à travers le prisme de Kanye, plutôt qu’avec les yeux de l’Amérique noire. C’est néfaste non seulement pour lui-même, mais pour une lutte pour les droits civiques en cours dans un pays toujours raciste; ses provocations ont le potentiel d’enhardir l’extrême droite et d’autres qui diminueraient la position des Afro-Américains.”
Le TIME, dans un article publié sur son site web et intitulé “La vraie leçon de l’esclavage de Kanye West” a choisi de laisser parler Manisha Sinha, auteure du livre ’The Slave’s Cause: A History of Abolition’. L’écrivaine explique que Kanye West “ignore complètement l’histoire de milliers d’esclaves qui ont fui l’esclavage et se sont rebellés contre elle” en rappelant que “Les personnes asservies ont fui pour la liberté dès qu’elles en ont eu l’occasion. Quand ils n’avaient pas le droit de vote, ils ont voté avec leurs pieds.” Auraient-ils porté des Yeezy ? Elle invite Kanye West à lire “les pensées spirituelles d’esclaves et les contes populaires noirs de la période de l’esclavage qui parlent de l’aspiration des peuples asservis à la liberté”. Un conseil que Ye pourrait ne pas prendre en compte puisqu’il avait avoué “ne jamais lire”. Elle met également en perspective l’esclavage et la musique du rappeur de Chicago : “Sa musique provient de ces pensées spirituelles esclaves. Il devrait le savoir. Il devrait savoir que même quand les Noirs étaient asservis, leurs esprits n’étaient pas asservis”. Sinha relève dans un deuxième temps un bon point souligné par West qui porte sur la façon dont l’esclavage est utilisé pour influencer les discussions modernes mais ajoute qu’il y a une meilleure façon de le faire. “Pour se débarrasser des choses qui nous rappellent l’esclavage nous devrions nous débarrasser de tous les monuments et statues confédérés des hommes et des femmes qui se sont battus pour l’esclavage” conclut-elle.
Un égocentrisme et une ingérence souligné
Vox et City Lab eux, s’accordent sur leur angle d’articles avec respectueusement les titres suivants “L’ignorance de Kanye West” et “La mauvaise éducation de Kanye West”. Pour le journaliste de Vox qu’il en soit conscient ou non,”West parle d’un faux récit plus large sur l’esclavage qui existe depuis longtemps – un argument selon lequel les personnes asservies étaient satisfaites de leur position. C’est un récit qui est utilisé pour invoquer l’argument selon lequel la guerre civile a été menée non pas pour préserver l’esclavage, mais pour défendre les droits des États. C’est un récit dans lequel les généraux confédérés sont refondus comme des hommes honorables agissant par devoir, plutôt que de vouloir garder d’autres personnes asservies – des gens dont le travail valait des milliards de dollars et qui fournissaient le moteur économique qui a construit l’Amérique. C’est un récit qui ignore les hommes, les femmes et les enfants expulsés de leurs maisons et séparés de leurs familles, et c’est un récit qui ignore ceux qui se sont battus pour être libres, risquant leur vie pour échapper aux plantations. Pour ceux qui n’ont pas échappé, ce récit les blâme pour la servitude qui leur est imposée.”
La pièce de City Lab souligne le talent de Kanye West qui se veut l’architecte d’un nouveau monde et qui est “capable de parler de la réalité, (qui ) a accès à des gens riches en haut lieu” pour changer les choses et financer ses projets. Mais “Cependant, il y a beaucoup plus de raisons de croire que Kanye serait une personne terrible pour ce travail. D’une part, il ne peut pas être géré, alors oubliez les processus de participation de la communauté – une personne qui ne peut pas être gérée ne veut pas être tenue pour responsable. Il est clair qu’il serait le plus technocrate des technocrates, sinon un dictateur, et celui qui croit que son amour pour tous est la preuve que les gens ont besoin de faire confiance à sa vision du développement, qui est un trait de personnalité du pire type de développeur”.
Le New York Post lui semble mal à l’aise face aux mises en scène choisies par Kanye pour ses deux interventions tout en soulevant, comme ses confrères, une mauvaise lecture de l’Histoire : “(West) a publié des lectures élémentaires erronées de l’histoire politique américaine, il partage des conversations et des textes qui réfutent les inexactitudes. Regarder cette pièce de théâtre en temps réel rappelle des reportages sur les débuts de la présidence de Trump, quand des factions rivales glissaient des articles provocants sur son bureau dans l’espoir de faire pencher son opinion et de déclencher ses instincts pugilistes”. La publication regrette de “voir M. West traité comme une flipper ou un pigeon voyageur” qualifiant ces moment d’interviews “d’inconfortables” soulignant un moment précis durant la conversation avec TMZ, où “quand il parlait de l’importance de la classe (par opposition à la race), Mme Owens regardait (West) et souriait, comme un enseignant amoureux d’un protégé”. Mais si pendant longtemps, personne n’osait contredire l’autoproclamé “dieu”, il semblerait que sa prophétie ne soit plus entendue par ses sujets.