Comment La Dad Shoes A Bouleversé Le Sneakers Game, Et Jusqu'Où Ira-T-Elle ?
Itinéraire et explication de la grosse tendance sneakers de 2017. Et sûrement 2018.
La décennie 2010 a longtemps été marquée par la basket épurée. Des lignes fines, des couleurs classiques, la sobriété en ligne de mire. Mais voilà quelque temps que l’on constate une concurrence. Les Stan Smith ne règnent plus en maître dans nos rues. Les voilà perturbées par d’autres sneakers, bien moins discrètes car plus flashy, plus imposantes. La rupture n’est pas encore totalement consommée, mais semble s’opérer petit à petit, sous l’impulsion des marques de luxe. Cette tendance répond au nom de dad shoes. La paire de papa. Parce que oui, c’est bien à nos paternels qu’elle fait référence.
La dad shoes, paire massive pour traîner à la maison
“Quand on me dit dad shoes, l’image que j’ai tout de suite en tête c’est une Nike Monarch ou une New Balance 624. Une chaussure qui coûte 35€, ni moche ni belle, que ton père porterait le weekend pour traîner à la maison et faire les courses”, explique Martin Sallieres, footwear designer chez Filling Pieces. “C’est typiquement la paire de sneakers que tu ne voulais pas mettre au collège mais dont tu ne peux plus te passer aujourd’hui. Elle n’est pas élégante, un peu grossière et souvent massive”, abondent Alice et js, le duo de “J’aime tout chez toi“, qui a récemment réalisé une exposition sur le sujet (dont la photo ci-dessous fait partie).
Visuellement en effet, la dad shoes, c’est une semelle épaisse. Elle a ses variantes, entre running et skate, mais tire en tout cas son essence des années 90. À cette époque, nos darons usent leurs jours de congés dans ces paires au confort maximisé. Pour eux, il est bien question d’aisance, en plus de robustesse et de rapport qualité/prix, plutôt que d’esthétisme. Raison pour laquelle elle est longtemps ignorée par la jeunesse et les grands pontes de la mode, malgré une popularité certaine, et loin d’être cantonnée aux nineties : même lorsque les sneakers connaissent le tournant minimaliste de la fin des années 2000, une paire comme la Air Monarch, archétype de la chaussure détente de papa, reste en tête des charts chez Nike.
La tendance dad : entre nostalgie, désirs de volumes et influence du luxe
Alors comment a-t-elle fait pour se retrouver aux pieds des fashionistas ? Pour Alice et js, c’est justement dans le come-back flagrant des années 90 que se trouve la raison du boom. “La tendance est aux 90’s en ce moment, on s’approprie les codes et le vestiaire d’une époque et la dad shoes s’inscrit clairement dans cette tendance nostalgique. Le plus drôle, c’est que cette paire boudée à l’époque par les plus jeunes est aujourd’hui plébiscitée par ceux-là même”, assurent-ils. Max Limol acquiesce. L’auteur du livre “Culture Sneakers : 100 basket mythiques”, conférencier à l’occasion, va même plus loin et parle de “ré-émergence poussée à l’extrême” s’inscrivant “dans le phénomène rétro, avec un environnement où les gens sont en quête d’authenticité”. D’authenticité, et pas seulement.
“La dad shoes c’est la basket dans son plus bel éclat, dans son plus bel écrin je dirais, parce que ce sont des paires relativement colorées, et dans tous les cas, pas du tout neutres. La silhouette, la forme, ça donne une allure, ça caractérise et exacerbe quelque chose. Aujourd’hui il faut du visuel, on n’a plus peur des formes”, poursuit-il, comme pour dire qu’il y a aussi overdose du modèle minimaliste et propret, monté si haut qu’on aurait voulu s’en affranchir. Mais au-delà de nos désirs de volumes et de retour aux 90’s, Max Limol voit planer l’ombre des marques de luxe sur l’explosion de la dad shoes. Laquelle entrerait pleinement dans leur plan d’assimilation du streetwear, et plus précisément de la sneaker.
“Le point de départ, c’est la collab’ Louis Vuitton x Kanye West en 2009. C’est le point de départ de la sneaker de luxe. Une fois que les autres marques ont vu que ça fonctionnait, elles sont allées sur ce marché. La dad shoes, c’est l’apogée de l’appropriation de la sneaker par le luxe. La dad shoes est codifiée luxe, et c’est un moyen pour les marques, qui avaient déjà acquis la légitimité en faisant des sneakers, de s’inscrire dans une continuité. Beaucoup de gens qui n’achetaient pas de sneakers parce qu’elles étaient trop connotées ont dès lors sauté le pas.”
De fait, c’est sous l’impulsion d’un cador du secteur que la dad shoes a été relancée. En 2013, Raf Simons sort en compagnie d’adidas le modèle Ozweego. LA paire qui a cassé les codes, avec sa forme massive inspirée des baskets running et ses couleurs flashy. De quoi pousser de jeunes designers comme Kanye à aller plus loin, et le luxe à tenter des modèles plus imposants. Pour autant, le terme de dad shoes ne désigne pas encore une tendance. Preuve en est, lorsqu’il fait résurgence dans les recherches Google en juin 2016, c’est pour moquer la paire confectionnée par Under Armour au meneur star des Golden State Warriors Stephen Curry, la Curry Two Low. Paire qui à la surprise générale, s’est écoulée très rapidement, signe que la dad shoes était en marche.
La Triple S de Balenciaga, un tournant… et une fin ?
Quelques mois plus tard en effet, elle gagne ses lettres de noblesse. La machine médiatique s’emballe, tout le monde en parle. Il faut dire que Balenciaga dévoile en janvier 2017 ses Triple S. La dad shoes à son paroxysme, avec ses proportions exagérées, qui impose alors un autre terme pour désigner la tendance, chunky. A la sortie des TTTS en septembre, celle-ci est déjà installée, des modèles comme les YEEZY 700 Wave Runner, les Cloudbust de Prada, les Rython de Gucci ou les Sofiane d’Acne Studios s’étant déjà arrachés. Mais elle atteint-là son pic le plus haut.
Pas pour rien que durant ce même mois de septembre, Nike réintroduit la Air Monarch IV sur son site Internet. Dior et Louis Vuitton rivalisent d’inventivité pour sortir leurs modèles dans la foulée, jusqu’à A.P.C et les marques héritages, qui ressuscitent leurs produits phares des nineties, à l’instar de Fila ou Skechers. Même la fast fashion s’y met, par l’intermédiaire de Zara. Nous y voilà : la dad, qu’elle désigne la paire de running classique ou la dernière création extravagante du luxe, a plus que jamais la cote.
LOUIS VUITTON ARCHLIGHT
YEEZY 700 WAVE RUNNER
PRADA CLOUDBUST
GUCCI RYTHON
ACNE STUDIOS SOFIANE
DIOR HOMME B22
FILA VENOM
ZARA MULTI-PIECE SNEAKER
Néanmoins, les spécialistes du secteur s’accordent pour dire qu’elle ne devrait pas tarder à muter. Selon Martin Sallieres, le tournant incarné par la Triple S marque même une fin. Et quant à savoir ce qu’il y aura après, là où Max Limol imagine “plus de personnalisation, comme des empiècements détachables”, le footwear designer pense lui à une création décomplexée, qui unirait certains courants de la sneaker.
“Sur du court terme c’est la Salomon Speedcross en gros, une esthétique trail, hiking, performance pure, “form follows function”. Et la boucle sera bouclée. C’est l’après-après qui va être très intéressant. Récemment on a vu le monde de la mode s’inspirer du sportswear/streetwear et vice versa. Chaque segment “vole” des codes aux autres sans les comprendre, et la suite, ou le challenge, va être de combiner ces codes. Créer un hybride fashion-performance”.
Tout autant désir de retranscrire une époque d’authenticité que de se différencier, de marquer une rupture avec la simplicité de nos sneakers des années 2010, la dad shoes traduit une dynamique de la mode, dit quelque chose de notre époque. Elle n’est pas un hasard, pas plus qu’une faille. Plutôt une étape. Et en attendant de découvrir vers quoi, gageons qu’elle squattera encore un moment nos trottoirs.
