"Je veux mettre mon nom partout, le support n'a pas d'importance" - On a parlé de son approche, de l'évolution du graff et du street art avec André
Entretien en marge de l’ouverture de son installation aux Galeries Lafayette.

À coup sûr, vous l’avez déjà aperçu. Tout du moins, par le biais du dessin de son fameux Mr. A, cette bouille ronde et souriante aux longues pattes. André Saraiva, mieux connu sous son nom d’artiste André, pourrait symboliser à lui seul l’évolution du street art. De ses premiers tags il y a plus de trente ans dans les rues de Paris, et des ennuis qui allaient avec, il a percé par l’intermédiaire de son personnage fétiche, pour ensuite le décliner sur de nombreux supports, textiles avec des marques allant de Mango à Louis Vuitton, en passant par des emballages ou encore portables… Et ce, tout en multipliant les activités, lui qui a pu être rédacteur en chef de magazine, réalisateur et patron de boîtes de nuit.
Les graffeurs ont pu le critiquer, les médias le décrire comme un businessman. Loin du calcul, André dit obéir aux mêmes préceptes qu’à ses débuts, quand bien même les galeries les plus prestigieuses, fresques gigantesques et autres collabs aient – en apparence – succédé à ses premiers graffs sur des bouts de murs. Son approche, son art, l’évolution du graff et du street art en général, autant de sujets que nous avons pu évoquer avec lui, à quelques jours d’une nouvelle association avec les Galeries Lafayette via son nouvel emplacement des Champs-Élysées. André y a en effet imaginé l’espace du pop-up d’un collectif dont il fait partie, le Peanuts Global Artist Collective, lequel fait revivre à travers le monde l’univers Peanuts du dessinateur Charles M. Schulz.
André x Peanuts. Print signé de l'artiste, à retrouver aux Galeries Lafayette du 12 au 27 mai. Crédits : André.
HYPEBEAST FRANCE : André, en quoi le projet du “Peanuts Global Artist Collective” t’a-t-il parlé ?
André : Eh bien je suis un énorme fan de Snoopy. J’ai eu la chance d’aller en Californie pour voir les archives, tous les dessins de Schulz. Un truc assez marrant et extraordinaire, il a une ligne très proche de la mienne, qui équilibre légèrement, Mr. A c’est le même genre d’univers que celui de Snoopy. Dès que j’ai dessiné les trucs, même eux là-bas ont trouvé ça hyper proche des dessins de Schulz. Et à partir de ça, j’ai fait des petits dessins animés, j’ai poussé le truc un peu plus loin que la collab “Snoopy x André”.
Pour faire vivre l’image de Peanuts, tu as couplé les personnages au tien, l’emblématique Mr. A. Comment as-tu imaginé ces différents dessins ? L’amour et le bonheur y semblent centraux.
Oui, ça a toujours été la base du caractère de Mr. A et de mon univers qui tourne autour de l’amour. Ça s’est fait naturellement.
C’est donc toi qui a imaginé la nouvelle installation du collectif, aux Galeries Lafayette des Champs-Élysées. On parle de diverses activités, de créations, quelle sera donc cette installation et comment l’as-tu pensée ?
On a collaboré avec Peanuts et les Galeries Lafayette pour faire un truc hyper généreux, ludique. L’idée c’était “on est tous de grands enfants”. Donc une énorme maison de Snoopy, un “amusement park” autour de Snoopy. Et ça sur un gros espace, les Champs-Elysées, ce n’est pas du tout les Galeries Lafayette comme avant. C’est un concept store autour de la création, vraiment bien pensé.
Investir, organiser un espace, c’est quelque chose que tu sembles apprécier.
J’adore et je considère que ça fait partie de moi. Je peux aussi bien faire un bar, un club, un hôtel, une boutique, pour moi une installation ça part de la même créativité que de faire un dessin. Une installation, c’est de l’art. De l’art social. Tu crées un univers pour réunir des gens, c’est ça qui m’intéresse.
Des Messieurs A. Crédits : ELIJAH CRAIG/HYPEBEAST.
Ce n’est pas ta première installation, ni ta première collaboration. Tu sembles être l’un des premiers artistes de rue à avoir inscrit ton personnage ailleurs que sur les murs. Et en plus de 30 ans, tu as tout vécu de l’évolution du graff et par extension du street art, de son passage de l’underground au mainstream, quelque part.
Je ne sais pas si on peut dire underground et mainstream. Quand j’ai commencé, le graffiti était quelque chose de rare, de marginal, et ça concernait peu de gens. Mais en même temps, du fait que ce soit sur les murs, les murs de villes comme Paris, ça concernait tout le monde. C’est ce qui fait que le graffiti est réellement un art populaire. Quand on faisait des graffs, les premières générations des années 80-90, on ne se posait jamais de questions sur quoi peindre. On était aussi heureux de peindre sur un mur, sur un camion, sur un train que sur un t-shirt. Moi, mon approche de l’art en général, c’est mettre mon nom sur le plus d’endroits possibles. ‘Put my name everywhere’, je m’en fous que ce soit sur un t-shirt, une couverture de mag, un mur. C’est faire vivre. Et faire vivre mon personnage.
D’où, tes nombreuses collaborations…
Heureusement pour moi et pour tous mes camarades qu’on a fait des collaborations qui nous ont permis de vivre de notre art. Mais ça ne veut pas dire du tout qu’on a vendu notre âme au diable. Après, chaque artiste a sa démarche, mais très fidèle à nos convictions et à l’histoire qu’on raconte. Parce que c’est raconter une histoire. Le support n’a pas vraiment d’importance. Après je ne collabore pas avec des gens quand je ne suis pas d’accord avec le produit, je ne fais des choses qu’avec ceux dont je me sens proche et qui ont les mêmes valeurs que moi. Je fais vraiment ça avec des gens que j’aime.
Dans une interview, tu disais “cet art est devenu populaire, c’est bien, mais aussi moins bien”. Pourquoi ?
Alors j’aime que l’art soit populaire. Mais on arrive à une période où n’importe quel mec arrive et commence à se prétendre street artiste. Le graffiti peut-être qu’il devient street art, mais c’est une initiative, une vie. Je sais ce que je fais aujourd’hui parce que j’ai commencé à peindre il y a trente ans. Je n’ai jamais arrêté de peindre, et je n’ai pas peint pour la seule gloire, le seul résultat que j’ai pu avoir pendant des années c’était risquer la prison et toutes les embrouilles qui allaient avec – ça faisait partie du graffiti. Je pense qu’il faut faire ses armes, ses preuves, et je pense qu’aujourd’hui il y a un peu de tout, et tout n’est pas bien. Et souvent sous le mot ‘street art’ il y a beaucoup de merdes et de trucs bidons.
Comment expliquerais-tu la popularisation du graff ?
Beaucoup des adultes d’aujourd’hui ont juste grandi avec le graffiti. Ça fait partie de leur univers visuel, ils connaissent ce langage et savent ce que ça veut dire. Le graffiti fait partie de toutes les villes du monde presque, du moins toutes celles où il y a de la liberté, et les gamins ont grandi avec ça. Donc chaque gamin a son approche affective avec les Mr. A, d’autres graff, des lettrages, ça fait partie de notre culture. Alors que quand on a commencé, les gens ne savaient pas ce que ça voulait dire. Après, encore aujourd’hui, peu de gens connaissent vraiment l’histoire du graffiti. Ça mériterait une série documentaire pour la raconter.
Au final, est-ce que tu n’as pas l’impression de l’incarner pleinement, ce changement ? Tu as commencé à graffer la nuit en étant considéré comme un vandale, aujourd’hui tu réalises des fresques en plein jour et collabores avec de nombreuses marques.
Le graff, c’est toujours du vandalisme ! C’est ce qui en fait tout l’intérêt. Le jour où ce sera légal, ce ne sera plus intéressant. Ce qui crée sa force, c’est le fait que ce soit illégal. C’est une action, un “statement” comme disent les Américains. Après, de savoir si je suis l’incarnation de l’évolution… Non… C’est agréable de toucher plus de gens. C’est agréable d’être accepté. Mais il m’arrive encore de faire des choses pas très légales la nuit.
Tu es donc toujours attaché à cette règle que tu édictais dans un autre entretien il y a une quinzaine d’années : ”Pas de graffiti sans transgression”. Tu te connectes toujours à ce que tu vois comme l’essence du graff.
Oui bien sûr, ça fait partie de mon ADN. Il faut toujours faire une différence entre le graffiti, qui est une action illégale qui prend place la nuit dans les villes etc, qui est une action, un “statement”, et d’autres choses : des dessins, expos dans une galerie, ce n’est plus du graffiti. Ce sont des références, mais ça n’en est plus.
Mr. A. Crédits : ELIJAH CRAIG/HYPEBEAST.
Il y a une autre démarche sur laquelle on peut te voir comme un précurseur, outre le fait d’avoir décliné tes tags sur d’autres supports. L’aspect touche-à-tout, toi qui as très vite exercé de multiples activités créatives…
(Il coupe) Le vrai truc où j’ai été très différent et qui a lancé une tendance qui n’existait pas, c’est que je suis le premier à avoir, plutôt que de faire des lettres et un nom, fait un dessin, et l’avoir peint aussi souvent que mon tag. J’ai créé, lancé ce mouvement, qui s’est propagé ensuite avec les ZEVS, Invader, etc. J’ai lancé ce truc là. Pas qu’en France, dans le monde. Un mec qui faisait un truc figuratif, avec l’intensité équivalente, la persévérance habituelle du taggueur, ça n’existait pas. C’est vraiment révolutionnaire à ce moment-là, années 90, post-graffiti. Et j’ai commencé ce truc aussi, où tout d’un coup on n’était pas juste une bande underground, mais on voulait conquérir le monde. On ne voulait pas être isolés dans notre coin, mais aller vers les autres, faire des collaborations, parler au plus grand nombre, ce n’était que dans notre intérêt.
Aujourd’hui, ces collaborations arty sont la normes, et les créatifs ne sont plus cantonnés à une seule activité. Virgil Abloh, architecte de formation, designer mode de métier, peut faire des bouteilles d’eau, des meubles…
On est des créateurs de la Renaissance, on touche à tout.
Toi, tu as toujours posé le terme de curiosité, pour motiver tes multiples activités.
Je suis curieux. Tu sais j’étais à l’école, en France, on me disait : “ah tu es Portugais, pas la peine de faire des études, pars sur une école technique, tu vas être bon dans le bâtiment”. Je regardais, et je disais : ‘non, je ne veux pas être dans le bâtiment, allez vous faire voir’. Les gens aiment bien se mettre dans des cases, mais on peut faire plein de choses, c’est de la curiosité, et de là tout est possible. C’est d’ailleurs une attitude qui vient du graffiti : c’est interdit, mais tu braves l’interdit, et tu fais ce que tu as envie. En tout cas tu prends le risque, après il y a peut-être des conséquences, mais en tout cas tu fais les choses. Le graffiti, pour ça, est une très bonne école. C’est une école de liberté, pas une école qui te met des règles. C’est un parcours initiatique. Ça te donne la liberté de faire plus tard ce que tu veux.
Le merch André x Peanuts, à retrouver au pop-up des Galeries Lafayette à compter du 12 mai.