“Tout commence par un dessin.” Des dessins, on en retrouve sur plus de 200 pages du livre de Kenzo Takada, écrit par son amie journaliste Kazuko Masui. À travers cette œuvre rétrospective, on découvre un long périple. Celui d’un garçon qui n’aurait jamais pu apprendre la couture sur les bancs du Bunka Fashion College de Tokyo sans le soutien de sa maman, et qui n’aurait jamais pu aller en Europe sans les subventions versées suite à la destruction de son appartement au profit des Jeux Olympiques de 1964. Alors qu’il nous accueille dans son hôtel particulier qui renferme ses bureaux et son atelier à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, le créateur semble bien loin de l’appartement sans salle de bains qu’il occupait lors de son arrivée à Paris il y a plus de 50 ans. Au fil de ses croquis, Kenzo nous emmène dans sa valise pour un voyage qui rend visite aux prémices de sa première marque Jungle Jap jusqu’au succès de Kenzo, en passant par Marseille, Le Caire ou Djibouti. Entre les lettres émouvantes à sa mère, qui a joué un rôle prépondérant dans sa vie, M. Takada fait voyager Paris avec lui et tisse des liens indéfectibles avec la ville lumière, surtout quand elle s’éteint. Kenzo c’est une grande famille. Une famille qui sait se réunir et faire la fête. “Chez Kenzo, les gens avec qui je travaillais sont souvent devenus mes amis s’ils ne l’étaient pas déjà” confirme le créateur. S’il conserve un œil sur la mode tout en gardant ses distances avec une industrie sur laquelle il a régné pendant plus de 20 ans, Takada n’en oublie pas l’importance du dessin dans son art : “Mais si tout se fait directement sur ordinateur, on peut perdre la main. Le savoir-faire reste important. Le dessin à la main est important”. Car finalement, tout commence par un dessin.
Des premiers pas, aux premiers coups de crayon
Des premiers pas, aux premiers coups de crayon
Quand il quitte le Japon en 1964, Kenzo n’est qu’un jeune garçon. Cette jeunesse saupoudrée de naïveté s’exprime parfaitement quand le créateur parle de l’amour qu’il porte à sa maman : “Ma mère m’a beaucoup aidé. Quand mon père ne voulait pas que j’aille en école de mode, ça nous a pris 6 mois pour le convaincre. Ensuite mes parents m’ont envoyé de l’argent pour que je m’inscrive et elle m’a beaucoup aidé. On était très proches l’un de l’autre. Quand j’ai quitté le Japon, c’était la première personne que je voulais voir. Au début je lui écrivais beaucoup et au fil du temps, de moins en moins. J’ai commencé à vivre la vie parisienne“. Une vie parisienne qui a commencé après un voyage de plusieurs mois, en bateau d’abord, de Tokyo jusqu’à Marseille.
Automne/Hiver 1980, dessins de collection, Archives KENZO
Avant l’enchaînement des collections, le succès et l’acclamation, Kenzo a rencontré Paris dans la plus grande humilité et comme souvent, la première impression n’était pas la bonne : “Je suis arrivé de Marseille en train, le 1er janvier à 22h à Gare de Lyon. La ville était grise, c’était l’hiver, tout était un peu triste. Quand je suis sorti de Gare de Lyon, tout était sombre et par rapport à l’image que j’avais de Paris dans les films, j’étais un peu déçu au premier contact. Je ne parlais pas français, je ne pouvais même pas aller au restaurant. Les Français sont comme les Japonais, qui eux ne parlent ni anglais, ni français. Heureusement que je parlais un peu anglais”. Lors de ses premiers mois à Paris, le créateur qui n’en est pas encore un passe le plus clair de son temps entre le marché Saint-Pierre et les puces, à dessiner et à vendre ses dessins.
“Quand je préparais l’ouverture de Jungle Jap, je suis rentré au Japon et je l’ai trouvé beau. Alors je suis revenu avec, à Paris.”
Jungle Jap, le Japon dans la jungle parisienne
Jungle Jap, le Japon dans la jungle parisienne
Pour Kenzo, l’inspiration a toujours été partout. Si son voyage initiatique l’a beaucoup inspiré, les couleurs parisiennes l’ont aussi marqué lors de ses premiers pas dans la capitale. “Quand je suis venu à Paris, une des premières choses qui m’a frappé, c’est le nombre de fleuristes, de marchés et de boutiques de fleurs. Ça contrastait vraiment avec les bâtiments gris de la ville. À Tokyo il n’y avait pas autant de fleuristes et même au mois de janvier, certaines rues étaient colorées par ces fleurs”. La végétation comme source d’inspiration intarissable pour Takada, qui a d’ailleurs orné les murs de sa première boutique dans la galerie Vivienne d’un dense habillage vert pour en faire Jungle Jap.
“Le business est important mais la créativité ne répond pas à cette logique.”
“On a appelé cette marque comme ça car lors de l’ouverture de notre première boutique, on ne savait pas comment la décorer. On cherchait quelque chose de beau et du coup on a fait comme une jungle. On a dessiné les murs et les plafonds en jungle. Comme on était Japonais, le nom de Jungle Jap est arrivé naturellement”, avoue-t-il. Prenant naturellement le leadership créatif de la marque, il a fallu des plaintes de la communauté japonaise des États-Unis, où le mot “jap” a une connotation négative, pour que le créateur donne son nom à la griffe et l’estampille Kenzo quelques saisons plus tard.. Pour mieux comprendre les influences de Jungle Jap, il suffit de se référer à la page 39 du biopic de Kenzo, qui évoque la création de sa première griffe : “Quand je préparais l’ouverture de Jungle Jap, je suis rentré au Japon et j’ai trouvé mon pays tellement beau que je l’ai ramené avec moi à Paris”.
Archives KENZO
Les 30 glorieuses de Kenzo
Les 30 glorieuses de Kenzo
Des années 70 à la fin des années 90, il n’y plus grand-chose sur Kenzo que l’on ne sache déjà. Les Unes de magazine, les émissions de télé et les journaux ont presque déjà tout dit sur le succès unanime du créateur japonais. Lequel est flatté qu’on l’associe à une décennie, comme Dior l’a été avec les années 50 ou Saint-Laurent avec les sixties. Les années 70 sont en effet celles de Kenzo. Sa saison préférée, l’Automne/Hiver 73-74, représentait parfaitement l’esprit de la marque avec de grandes pièces à volants, des plis à l’infini, des vestes d’Homme recouvrant des classiques de la Femme, et des jeux de superpositions et de couleurs.
“Malgré la pression du business, j’ai réussi à me maintenir mais c’était compliqué.”
De la mode, de la création, sans business. À l’heure des grands groupes, des collabs infinies entre grands noms du luxe, du streetwear et de l’art, il est difficile d’imaginer cette époque qui n’est cependant pas si lointaine. Mais les années 80 ont ramené Takada à une logique économique implacable, contrastant avec ses 10 années de gloire absolue : “Dans les années 70, on ne réfléchissait pas vraiment à l’aspect commercial. C’est plutôt dans les années 80 qu’on a vraiment commencé à réfléchir en se concentrant un peu plus sur le business. C’est difficile d’allier l’aspect créatif au business, c’est l’idéal d’avoir les deux”.
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Hypebeast Fr / Léo DelafontaineDesigner
Hanadi MostefaEditor
Jéremy Derrien