Les Raffles De Sneakers Se Sont Imposées Comme La Nouvelle Technique D'Achat Mais Sont-Elles Là Pour Durer ?

Discussion avec deux acteurs du secteur.

“Toute tentative d’entrée multiple risque de vous bloquer”. Cette phrase n’est pas extraite d’un règlement que l’on pourrait lire avant de pénétrer dans une attraction de Disneyland. On n’est pourtant pas loin d’une histoire de tourniquet. Cette citation est en réalité issue des nouveaux règlements imposés par les revendeurs de sneakers à chaque nouvelle raffle. Mais quesako que ça, nous diront les moins averties. La “raffle” est un système de tirage au sort mis en place pour des sorties de sneakers en édition limitée. Ça y est vous avez le tournis ? Il y a effectivement de quoi avoir un peu le vertige face à cette nouvelle façon d’acheter version loterie qui s’impose pourtant comme désormais l’unique façon de raffler la mise lors d’une sortie de sneakers “limited collection”. Souvent dénoncée, car opaque, cette pratique est aujourd’hui la seule mise en place. En témoigne encore la toute dernière “raffle” pour la Air Jordan 1 x Off-White™. Comment en sommes-nous arrivés aux raffles ? Sont-elles là pour durer ? Tentatives de réponses avec deux acteurs du secteur. Discussion avec Rémy, gérant de la boutique Le Rayon Frais à Bordeaux et Didier Trouvé directeur de la boutique Sneakersnstuff à Paris.

 

Nike / Hypebeast FR Paul Mougeot

Hypebeast France : Si on vous avait dit qu’un jour on tirerait des gens au sort pour qu’ils puissent acheter une paire, l’auriez-vous cru ?

Rémy, Le Rayon Frais : Oui clairement ces dernières années avec l’évolution de l’offre et l’engouement autour de la sneaker c’était assez prévisible. Après à l’âge de 15 ans alors que j’avais plutôt l’habitude d’acheter des Air Jordan dans le Décathlon de ma petite ville de province ça aurait clairement été abstrait pour moi !

Didier, Sneakernstuff : J’ai commencé à bosser dans la sneakers il y a plus de 10 ans. Les sneakersheads étaient déjà présents, et pour chaque grosse sortie il y avait des camp-out. C’était une communauté assez petite sur Paris et disons que l’offre satisfaisait la demande. On m’aurait dit cela à l’époque j’aurais été assez surpris, mais l’évolution du milieu rend le truc assez logique.

HB : Vous souvenez-vous de votre première raffle ?

Rémy, Le Rayon Frais : Plus vraiment mais c’était clairement en rapport avec Mr West et la marque au trèfle ! 2016 peut être ?

Didier, Sneakernstuff : J’ai commencé chez SNS il y a plus de deux ans et ma première raffle était sur un restock de YEEZY 350 V1 “Pirate Black”. À l’époque on faisait les inscriptions en boutique. C’était assez “sport” mais ça c’était très bien passé.

HB : Comment aviez-vous accueilli cette nouvelle règle à cette époque ?

Rémy, Le Rayon Frais : Comme une adaptation au marché et une obligation pour nous retailers de s’adapter à une demande toujours plus importante tout en essayant de contenter le plus grand nombre…

Didier, Sneakernstuff : Étant donné la demande énorme sur les YEEZY, la règle me paraissait être la plus juste.

HB : Pour quelles raisons les marques ont-elles décidé de passer par ce genre de pratique pour certains drops ?

Rémy, Le Rayon Frais : Encore une fois en réponse à un marché croissant dont la demande explose. Les camp-out étant limités aux personnes pouvant être présentes pendant plusieurs heures/jour, un tirage au sort permet de faire profiter beaucoup plus de monde et de faire tourner un stock qui de toute façon sera toujours trop limité pour la demande.

Didier, Sneakernstuff : À la base les marques ont créé les raffles pour susciter l’envie chez le consommateur. On le voit dans l’évolution du consommateur. Sur les premières raffles il n’y avait que des gens qui s’intéressaient aux sneakers, maintenant il y a tout type de client.

HB : Pouvez-vous vous y opposer ?

Rémy, Le Rayon Frais : En tant que retailer indépendant nous avons une totale liberté sur la manière dont nous commercialisons nos produits. Donc oui si nous pensons que c’est pertinent.

Didier, Sneakernstuff : Chez SNS nous gérons nous même les raffles et décidons en interne quelles sorties sera mises en raffle donc non. Mais sur certaines sorties les marques nous l’impose, entre guillemets, car même sans leur demande nous aurions mis ces modèles en raffle.

HB : Quels sont les ponts positifs de cette méthode ?

Rémy, Le Rayon Frais : Toucher un maximum de monde et faire tourner les gagnants.

Didier, Sneakernstuff : D’abord la chance donnée à tous de pouvoir gagner. Même si les “anciens” trouvent ça injuste et je peux les comprendre, n’importe qui peut gagner, quand avant tout le monde ne pouvait pas se permettre de camper deux jours devant une boutique. Il y aussi le calme que ça amène dans l’organisation d’une sortie. Alors que quand on faisait des sorties classiques, il y a pu avoir des embrouilles, là c’est cadré et très calme.

HB : Et les négatifs ?

Rémy, Le Rayon Frais : La gestion interne clairement. Au delà des centaines d’appels les jours précédents la release, une grosse sortie nécessite souvent 1 à 2 personnes à temps plein sur 2 jours pour la communication, le tirage au sort, le contact des gagnants, les envois etc…

Didier, Sneakernstuff : Le manque de relationnel. C’est très cadré mais moins humain. Il y a un côté “point relais”. Avant on voyait toujours les mêmes têtes et il y avait du relationnel forcement. Là c’est beaucoup moins le cas.

HB : Qui décide du nombre de paires auxquelles vous avez droit ? Et comment cela est-il défini ? Sur quels critères ?

Rémy, Le Rayon Frais : Les marques, en fonction de leur stratégie. Ça se définit sur pas mal de critères mais pour faire simple: un retailer à New York, Paris ou Tokyo aura toujours plus de stock qu’un retailer basé dans une plus petite ville.

Didier, Sneakernstuff : Le nombre de paires c’est le fruit du travail de nos acheteurs avec les marques. Le nombre est défini par la taille du point de vente mais aussi le choix de la marque de diffuser plus ou moins le produit. Plus un produit est rare plus il est désiré.

 

 

Nike / Hypebeast FR Paul Mougeot

                            Participez au tirage au sort. Ne faites plus la queue.

 

HB : Peu de paires donc peu de gagnants, comment gère t-on la frustration de ses consommateurs qui ne se ressent plus physiquement mais qui est déportée sur les réseaux sociaux ?

Rémy, Le Rayon Frais : En étant cool et emphatique. C’est souvent aussi frustrant pour nous que pour eux de ne pas pouvoir vendre une paire…

Didier, Sneakernstuff : Il faut savoir être pédagogue même si parfois les réactions sont totalement disproportionnées. Quand on annonce que les gagnants ont été contactés il y a de la frustration. La plupart des commentaires sont juste un “L” (lose) mais certains nous insultent et parlent de backdoor. On essaie de communiquer de façon sobre en expliquant que la demande est forte et qu’il y a plus de perdants que de gagnants. Mais il y a une vraie parano autour de ça. Il faut aussi rappelé à tout le monde qu’il s’agit de sneakers, on enlève le pain de la bouche de personne.

HB : Si la raffle est frustrante pour le consommateurs l’est-elle également pour le revendeur ?

Rémy, Le Rayon Frais : Comme je le disais précédemment, ça l’est pour nous également.

Didier, Sneakernstuff : Pas vraiment. Raffle ou pas, tout le monde ne peut pas avoir une paire qui est limitée en quantité. Quand on faisait des sorties classiques c’était intense et parfois tendu pour nous et il y avait déjà de la frustration chez les clients. Là il y a toujours de la frustration mais sans tension.

HB : Les raffles vont-elles devoir évoluer ou sommes nous arrivés à un process qui existera pendant de longues années ?

Rémy, Le Rayon Frais : Sincèrement aucune idée. Je pense surtout qu’il faut s’adapter à la demande de la clientèle et à l’air du temps. Les raffles sont propres aux années 2010… Compliqué de dire ce qu’il en sera dans 10 ans tant les innovations dans le business sont fréquentes…

Didier, Sneakernstuff : Il peut y avoir de l’évolution mais je pense que le système va perdurer. Le vrai point à améliorer il est informatique, où on le sait, certains arrivent à détourner le fait de pouvoir bénéficier d’une seule inscription.

HB : Certains dénoncent l’opacité des raffles, en êtes-vous conscient ?

Rémy, Le Rayon Frais : L’an dernier un client nous a appelé et s’est fait passer pour un certain Mr Smith du siège adidas à Lille (il n’y a pas de siège adidas à Lille.) Ce dernier nous a sommé d’une voix vacillante de lui fournir le détail des gagnants de toutes les raffles de l’année passée sous peine de clôturer de notre compte adidas. Lorsque je lui ai demandé plus de précisions il s’est mis a bafouiller et m’a raccroché au nez. C’était la première fois en quasi 10 ans d’activité qu’un client se faisait passer pour un fournisseur pour nous soutirer des informations. Pour l’anecdote.

Didier, Sneakernstuff : On en est conscient. Le fait est que nous ne communiquons pas sur les quantités. C’est aussi un choix des marques car si les quantités sont connues ça rend le truc moins attractif si les quantités sont importantes. Mais quand nous faisions des sorties classiques, les clients se plaignaient aussi. Il n’y a pas de système parfait. Tant que la demande dépassera l’offre il y aura de l’insatisfaction. Mais comme la rareté crée la demande…

Les marques du luxe se mettent également aux raffles. Balenciaga vendait récemment sa triple S sous le même modèle de loterie. Alors si le haut de gamme se met à copier le streetwear on peut se demander si bientôt vous ne devrez pas tout acheter au petit bonheur la chance. Un jeu de société.

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