Kobe Bryant Au Service De Sa Légende

Figer tout ce qui l’entoure. Un trait de caractère conféré à quelques êtres humains de notre planète. Leur aura trempée d’acier se compose de succès héroïques et de souffrances touchantes. Kobe Bryant pouvait clouer en prolongation les Suns de Steve Nash par un tir en suspension d’équilibriste et s’écrouler devant Harrison Barnes après l’explosion de son tendon d’Achille. De sa spécificité à bouleverser le sort d’un match et d’un diagnostic médical, le Laker bâtit un concept autour du dépassement de soi, la Mamba Mentality. Justement c’est cette idéologie qu’il est venu prêcher au “Quartier”. Nom de code de la dernière campagne parisienne millimétrée de Nike Basketball, elle se déroule dans un écrin flambant neuf repensé pour l’occasion, le gymnase Jean Jaurès.

Quand Kobe Bryant entre dans une pièce, la rumeur se fait d’abord chuchotante puis en un battement de cils elle s’hystérise, se scande et se crie. Quand son quasi double-mètre entièrement virgulé se pose devant la centaine de rédacteurs, photographes, caméramans… Même les yeux planqués derrière un objectif s’écarquillent. Comme sur les parquets, la vision du quintuple champion NBA reste toujours aussi précise un an et demi après sa retraite sportive. Malgré les multiples néons éblouissants et les questions de Mary Patrux, Kobe Bryant voit une photographe contorsionniste perdre sa boucle d’oreille. Il se lève de son tabouret à petit trot, ramasse le bijou et le dépose au creux de la main de la jeune fille…

Une classe qui le fuyait plus jeune selon son ancien coéquipier aux Lakers Ronny Turiaf qui accompagne le “Mamba Talk” : “La première fois que j’ai rencontré Kobe c’était à l’INSEP, il ne m’avait pas signé mon autographe. C’est la première chose que je lui ai dite quand je suis arrivé à Los Angeles.” Comme deux frères séparés par des chemins de vie divergents, Ronny et Kobe passent la journée à se chercher : entre souvenirs de voyages en avion passés à disséquer ensemble les vidéos de leurs adversaires et échanges de petits coups de pieds remplis de tendresse…

Deux autres Français ont marqué l’itinéraire du Black Mamba. Boris Diaw et Tony Parker appartenaient à l’armée des SPURS titrées à cinq reprises de 1999 à 2014 : “Je les déteste car sans eux j’aurais dix bagues. Le problème c’est que ce sont vraiment des gars gentils qu’il est difficile de ne pas aimer. Quand j’essayais de les énerver sur le parquet, ils me répondaient : ‘Bien joué, beau mouvement.’ Je me disais : ‘Tu le penses vraiment ? Tu n’es pas sarcastique ?’” Puis une petite demi-heure plus tard, Kobe Bryant quitte une première fois le parquet Jean Jaurès avec une horde de smartphones en mode selfie, de journalistes aux micros et de fans aux marqueurs.

Quelques heures plus tard, il réapparaîtra avec sa paire de pompes signature rouge et un micro-casque sur le court. Comme s’il animait une conférence TDE. À ce moment, KB prend un air faussement sérieux en mâchonnant son chewing-gum et en masquant son visage d’une détermination feinte. La mécanique huilée d’un professionnel. Il entraînera une sélection des meilleures joueuses de la région lors d’une session ouverte au public. D’abord, il fait les cent pas sur le parquet scintillant et habite l’espace. Elles essaient de l’ignorer en conservant leurs habitudes mais les shoots qui transperçaient les filets quelques minutes plus tôt se font moins précis. Un All-Star à dix-huit reprises va remplacer leur coach du samedi après-midi. L’entraîneur surréel hoche la tête quand les consignes sont respectées, corrige personnellement les mini-basketteuses tremblantes après son passage. Son effet est saisissant… Quand une d’entre elles marque trois paniers qui arrachent un sourire à la légende, l’adolescente retourne parmi ses copines enthousiasmées. Les réflexions se devinent : “Meuf, tu as déchiré devant Kobe quoi…”

En fait Kobe Bryant est un réel showman, il joue de son impact pour créer des situations improbables. Après avoir serrer la main à toute la promotion de l’INSEP , il les met au défi : “Qui est le meilleur shooteur de l’équipe ? C’est toi ? Écoute, tu as un choix : tu marques un “trois points” maintenant et tu empêches les filles de courir ; par contre si tu rates tout le monde doit courir, elles et vous.” Pas froid aux yeux, le gars s’avance et décoche un shoot bien trop long qui fracasse la planche… La salle glousse. Mais Kobe s’apprête à retourner la situation. Cette fois, il se tourne vers la sélection régionale féminine entre 14 et 16 ans : “Si une de vous marque un “trois points”, personne ne devra courir.” Une jeune fille se démarque, le Laker agrippe le cuir, le fait tournoyer, le pose au sol et lui passe avec les pieds. La dramaturgie est idéale. Elle attrape le ballon, respire… “Swish”. Tous les jeunes lui courent après, la salle chavire. Quant à Kobe, il rit aux éclats et conclut par un “Clutch !”

Pour la deuxième partie de l’entraînement avec les joueurs de l’INSEP, le champion olympique devient moins ludique : travail au poste bas, renforcement de la main faible, automatisation du pick and roll… Ça ne rigole plus. Les questions de tous ces aspirants à une carrière professionnelle sont plus techniques. Lui préfère insister sur la détermination et l’importance de l’entraînement : “J’aime y aller, j’aime toucher et sentir l’odeur de la balle, j’aime le bruit de la salle… Quand j’avais votre âge, je devais être à l’école à 7h45… Du coup je me levais à 5h30 pour aller shooter au gymnase.” On imagine ses jeunes pousses régler le réveil de leur iPhone le lendemain matin, un dimanche.

Pour la troisième fois de la journée et peut-être pour la dernière de sa vie, Kobe Bryant se ramène dans le gymnase du XIX^ème arrondissement parisien. Cette fois, il vient assister au dénouement du tournoi entre différentes équipes de Paris et sa banlieue qui a agité l’après-midi. Le futur “Hall of Famer” fait son entrée sur “Be Humble” de Kendrick Lamar façon NBA mais finira par pousser le public à s’ambiancer sur “Chasse À L’Homme” de Niska. L’atmosphère frise le délire. À voir la réaction de chaque âme à son contact, la vie de Kobe Bryant n’a pas changé en fait… Elle s’est simplement déplacée de l’autre côté du terrain.