Photo AMI Alexandre Mattiussi
AMIcalement vôtre – La recette du bonheur, du succès et de la sympathie d'Alexandre Mattiussi
Discussion rétrospective avec le créateur d’AMI, à l’occasion de la célébration des 9 ans de la marque.
Photo AMI Alexandre Mattiussi
Photo AMI Alexandre Mattiussi
AMIcalement vôtre – La recette du bonheur, du succès et de la sympathie d’Alexandre Mattiussi
Discussion rétrospective avec le créateur d’AMI, à l’occasion de la célébration des 9 ans de la marque.

Moi je me dis, tant que je fume, je fume partout ! Dans les avions… non, je plaisante“. À peine arrivé dans son bureau parisien qu’Alexandre Mattiussi distribue déjà les vannes. Le créateur d’AMI sirote un café, crame une cigarette, en lâche une, et se laisse aller aux anecdotes humoristiques. La nuit a pourtant été courte, et le début de matinée laborieux, en ce nouveau jour de blocage des transports en commun. Mais rien ne semble altérer sa bonne humeur, cette bonhomie naturelle qu’il a su transposer à sa marque, et que le public lui reconnaît. “Avec AMI, il y a de la bienveillance“, savoure-t-il tout du long de la conversation. AMI a du succès, et il semble qu’il en a toujours été ainsi, depuis sa création fin 2010.

Pourquoi un telle réussite ? La trajectoire a-t-elle toujours été linéaire ? Alexandre Mattiussi avait-il toujours eu les idées claires pour sa marque brillant de cette simplicité d’élégance ? On a voulu lui poser ces questions et tant d’autres sur son AMI, à un moment qui s’y prêtait pour le mieux : quelques jours avant notre rencontre, le designer fêtait les 9 ans de la griffe, son chiffre-bonheur qu’il a élu plutôt que la décennie traditionnelle pour une célébration dans le cadre faste du Trianon à la Fashion Week de Paris. Une célébration suivie d’une rétrospective, et d’un premier bilan. Discussion AMIcale et franc-jeu, qui commencera par une rectification : finalement oui, Alexandre Mattiussi a bien fumé une fois dans un avion. “J’ai tiré trois taffes et tiré la chasse pour faire appel d’air. Après je suis allé me rasseoir comme si de rien n’était. C’était con, et je ne l’ai jamais refait“. Rires encore, rires toujours.

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Alexandre Mattiussi. Crédits : Pete Casta/Hypebeast France

HYPEBEAST FRANCE : Alexandre, tu as surpris tout ton monde, et on te demande à notre tour de t’en expliquer : pourquoi célébrer les 9 ans d’AMI, plutôt que la décennie habituelle ? Il paraît que c’est ce chiffre 9, ton porte-bonheur.

Alexandre Mattiussi : Ah, le 9… Oui, j’en parle beaucoup en ce moment, et ça me va ! Même si je me sens toujours un peu couillon, je me dis que les gens doivent me trouver débile avec cette histoire. Mais en même temps c’est mon truc : je ne voulais pas fêter les 10 ans d’AMI, mais les 9 ans, parce que c’est plus qu’un chiffre porte-bonheur, il est là tu vois (il désigne son poignet, où est tatoué le 9 en chiffre romain, ndlr). Je me le suis fait tatouer le 9 septembre 2009. J’aurais adoré que ce soit 1999 mais j’étais trop jeune.

De quand date cet attrait pour le 9 ?

Depuis que je suis gosse, depuis que j’ai appris à écrire en fait. Quand j’apprenais à écrire à l’école, le prénom, le nom de famille, tout ce truc, je me souviens que la maîtresse m’avait dit : “Oh regarde, il y a 9 lettres dans ton prénom et 9 dans ton nom de famille“. Et je m’étais dit que c’était cool, enfin je ne sais plus, je ne sais pas si on se dit des choses à 5 ans, mais j’ai vu cette symétrie. Et après il y avait du 9 partout, tout le temps. À un moment donné les gens me disent : “mais attends tu le vois partout parce tu as envie de le voir“, mais moi c’est vraiment tout le temps ! Les adresses, les dates de naissance, les dates importantes dans ma vie. Là par exemple, anecdote : le défilé de la semaine dernière à la Fashion Week, il n’y avait pas de 9. La date était le 14, alors que j’aurais adoré défiler le 13, parce que 13 janvier 2020, ça fait 1+3+1+2+2, ça faisait 9. Mais bon ça n’était pas bon. Je fais mes looks, il y en a 58, 5+8, ça ne marche pas. Donc pas de 9. Et je me dis “tant mieux, c’est bien, j’enterre ce truc, ça suffit“, parce que je ne suis pas dingue avec ce truc hein, si c’est là c’est cool, si ça n’est pas là, ça va aussi. Et puis on invite cet accordéoniste. Génial. C’était super. Il fait son truc, on hallucine – moi j’étais sûr de mon coup, mais personne n’y croyait dans mon entourage, on me disait que c’était ringard, bref ça a déchainé les passions. Le mec est génial. Après la soirée il me demande quand je suis né. Je lui dis 15 septembre 1980. Et il me dit : “Ah, c’est drôle moi je suis né le 18 septembre 1980“. Donc ce mec, c’est 18, 1+8 = 9, septembre 9, 1980 ça fait 9. Il était là, mon 9. Le 9 est toujours bienveillant, amical, très positif pour moi. Après j’essaie de ne jamais me caler là-dessus. Si je n’ai pas le choix entre une place d’avion 27 ou 33, ah non mince en l’occurence 3×3 ça fait 9, disons 27 et 51, eh bien j’y vais quand même.

Tu en viens au défilé, au-delà de la célébration qui était palpable, il y avait un air de bilan, qu’on pouvait retrouver dans ces livres rétrospectifs que tu as pu distribuer aux invités et que tu vas éditer. Les 9 ans étaient aussi l’occasion de jeter un oeil dans le rétroviseur ?

Oui, il y avait un peu l’idée de bilan. Un peu forcément, parce que c’est l’occasion de raconter des choses. Il y a des choses que j’ai dites il y a quelques années, avec beaucoup de maladresse ou qui n’étaient pas abouties, donc évidemment on continue en se disant qu’on fera le bilan à la fin. La mode c’est ça, le style AMI est encore en construction. Ce qui est compliqué, parce que parfois les gens ne supportent pas le changement, alors que c’est un métier où on pense que le changement est essentiel, mais pas trop quand même : “J’aimais bien ton pull y’a deux ans, là tu m’as refait un peu le même, mais tu m’as quand même raccourci les manches“, “oui mais c’est une question de proportion“, “oui mais je préférais quand même la version d’il y a deux ans“. Donc le changement dans la mode, c’est pas vraiment pour maintenant. Boom, punchline (rires).

Il est vrai qu’AMI donne l’impression d’avoir évolué sans évoluer. C’est une marque qui a gardé son essence et ses caractéristiques, cette élégance décontractée, sophistiquée mais cool, chic mais sans artifices, créative mais accessible.

Ça évolue avec moi, le temps, l’époque, les gens qui m’entourent aussi, parce que je ne suis pas seul. J’ai des gens qui sont plus jeunes, des plus vieux, c’est une conversation à plusieurs qui permet de faire évoluer ce style. Mais en revanche les valeurs n’ont pas changé : les amis, la famille, la fraternité, le groupe, la bienveillance, la communauté, ce sont des choses qui m’intéressent toujours, et que j’essaie de dire depuis le premier jour. AMI, c’est d’abord une équipe. Une troupe de théâtre quoi. On est là, tous les six mois, à faire un spectacle. Parce que c’est un peu ça la mode. Évidemment derrière il y a un propos commercial et logistique pour que les vêtements arrivent en boutique, mais au départ la trame est dans la conversation, la troupe, l’esprit d’équipe, qui nourrit un projet. Et tout projet que j’estime valable est en général nourri par l’amour, la générosité, la bienveillance. Chez AMI on est dans la bienveillance, je n’arrive pas le matin en disant : “Bande de cons vous allez me sortir X pulls avant midi sinon je vous vire !“, on est vraiment dans un truc collaboratif, humain, riche. On était au Sidaction hier, on a pris une table, j’ai invité mon équipe. Ça a étonné Marina Foïs ! De même, on ne force jamais les affinités. Là j’ai rencontré il y a quelques jours Laetitia Casta, ça faisait des années qu’on voulait se voir, je n’ai pas forcé, j’aime bien laisser les choses venir.

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Le Tableau Du Dernier Défilé Ami. Crédits : Kristy Sparow/Getty Images

Comment définirais-tu le style AMI, finalement ?

Alors j’aime bien faire ça, je vais sortir mon book du début. C’est le scénario d’AMI que j’ai écrit il y a 10 ans. Comme un scénario de cinéma. Voilà (il pose un manuscrit sur la table). Quand j’ai commencé AMI, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive une histoire, parce que c’est comme ça on me l’a toujours dit, “tu sais Alexandre c’est la mode il faut raconter des histoires, il faut que ça soit cohérent“, bon moi je n’ai aucun souci à l’être, mais c’est toujours difficile d’exprimer ce que tu veux, ce que tu fais, te définir en quelque sorte. Donc ce scénario a été comme une thérapie. Je ne voulais pas lancer ma boîte tant que je n’avais pas défini les contours de cette histoire. D’ailleurs, le cadre du logo vient le symboliser. C’était encadrer mon truc. Parce que plus jeune j’étais foufou. J’allais dans tous les sens. Encore chez Givenchy, le PDG me disait : “Bon Alexandre c’est quoi l’histoire de la collection“, je haussais les épaules en répondant “y’a pas d’histoire, j’ai fait des pantalons et des chemises“, il rétorquait “bon super, non ça ne marchera pas comme ça“. Donc la première chose que j’ai faite avec ce scénario, c’est de définir ce cadre, qui est toujours le logo actuel. Et j’explique dans le scénario ce qu’est AMI. (Il lit) “AMI Alexandre Mattiussi un univers pour Homme, une marque repère, accessible, sincère, un capital sympathie fort, une marque française pensée et dessinée à Paris, plus qu’un produit un mode de consommation, un univers complet. Une marque élégante, moderne, séduisante, généreuse et drôle. Une marque ouverte sur l’extérieur, évolutive, en connexion directe avec les gens, la réalité, les saisons et l’actualité“. Voilà. C’était mon pitch. Et je le relis chaque saison. Chaque saison, je me redis : “Tiens, qu’est-ce que j’avais écrit il y a 10 ans ?“. Bien sûr, ça évolue. Et je définissais le style, aussi. (Il lit à nouveau) “Une allure française, une dégaine chic, les codes du vestiaire classique twistés. Une approche moderne des intemporels, des proportions contemporaines, l’influence des gens qu’on aime, les amis, et la rue comme inspiration majeure“. Et après j’ai mis des petites photos d’inspirations, parce que je n’avais pas de vêtements à l’époque, j’ai fait un business plan et ce scénario, et je suis allé frapper aux portes pour trouver de l’argent. Et j’avais défini mon Homme, aussi. C’est très drôle, et c’est là que tu te dis que la vie est rigolote. (Il lit toujours) “Un homme vrai dans une vraie vie, un homme passionné, un homme entouré. De l’audace, de l’humour, une identité singulière. Le goût des autres et des belles choses. L’idée n’est pas d’inventer un nouvel homme, mais plutôt de proposer un vestiaire complet à un homme d’aujourd’hui. De 17 à 77 ans“. Et j’avais mis en exemple (il tourne la page sans regarder) Louis Garrel, qui est l’un de nos meilleurs clients aujourd’hui. (Il tourne la page de la même façon) Romains Duris, l’un de nos meilleurs clients aujourd’hui. (Repeat) Vincent Cassel, l’un de nos meilleurs clients aujourd’hui. (Repeat) Étienne Daho, client d’AMI. Alain Chamfort, client d’AMI… Je m’étais imaginé quels étaient les hommes qui porteraient du AMI, et tout ça existe maintenant. Voilà, il y avait aussi les factures, le “conseil d’AMI” dans les étiquettes, le ticket de caisse “les bons comptes font les bons amis”, tout ça existe encore, tout ça était écrit. C’est d’ailleurs ce que je conseille aujourd’hui aux jeunes qui viennent me voir pour me demander conseil, je leur dis de bien définir leur cadre, parce que c’est en définissant son cadre qu’on parvient à en sortir.

L’idée de ce cadre et de ce scénario ne viendrait-elle pas aussi de ta première expérience en solo ? C’est quelque chose que l’on sait moins, mais tu as lancé une marque des années auparavant, en 2002, que tu as stoppée au bout de deux années.

Exactement. C’était AMI aussi, ça s’appelait pareil. Déjà. J’ai fait ça tout seul. À l’époque quand tu montais une SARL il fallait 7500 euros, qu’on m’avait prêtés, j’ai acheté du tissu, j’ai trouvé deux fabricants, un à Limoges et un à Troyes, et j’ai fait des chemises et des t-shirts. J’allais vendre ma collection dans les halls d’hôtels pendant la Fashion Week. Mon père m’avait customisé une vieille et grosse valise que j’avais achetée aux Puces, qu’il avait percée d’une grosse barre métallique, je mettais mes petites chemises comme ça sur des cintres. Elle était moche… C’était système D, mais c’est chou quand même en y repensant. J’y allais, je me faisais beau, mettais mon plus beau jean, mes plus belles chaussures, j’arrivais dans les hôtels et j’ouvrais la valise comme un vieux machin et présentais ces chemises que j’avais repassées la veille et parfumées. J’avais des clients ! Ça avait marché. Je n’ai pas perdu d’argent, je n’en ai pas gagné non plus, mais ça m’a permis de commencer à comprendre comment ça marchait quand on sortait d’une Maison – je sortais de chez Dior -, de dessiner un produit, de le fabriquer, de le vendre, de le livrer, de le facturer, de le voir porté. Et à l’époque pour la petite histoire, Paris Hilton avait porté mes chemises. À l’époque, c’était la reine ! Son nom était plus recherché que Jésus sur Google – j’adore dire ça. Dans un GQ allemand, elle porte mes chemises, et à l’époque c’était cool. En 2002, il n’y avait pas Facebook, peu d’Internet. Pour communiquer ce genre de choses, tu envoyais une photocopie à tes potes, ta mère l’accrochait sur le frigo. C’est marrant. J’ai fait ça deux ans, ça m’a fait vivre parce que le peu d’argent que je gagnais me permettait de payer mon loyer et mes sandwichs, et puis j’ai eu une proposition de job chez Givenchy. Je me suis dit que c’était bien, que j’avais encore des trucs à apprendre. Je savais que c’était l’idée de l’expérience que de faire ces jobs là, d’aller chez Givenchy, Marc Jacobs, pour prendre le maximum d’infos. Je traînais un peu partout dans les Maisons à l’époque, c’était encore possible. Givenchy était encore une Maison minuscule, et je pouvais me balader à la Femme, à la Couture, j’allais à des réunions avec les directeurs commerciaux, je n’avais rien à y foutre, mais je me baladais. Le PDG de l’époque, Marco Gobbetti, qui a par la suite été le PDG de Celine et maintenant celui de Burberry, me disait toujours : “Viens Alex, viens“, je m’asseyais dans un coin et j’écoutais tout. Je savais que c’était la clé, non de la réussite, mais de la compréhension du fonctionnement d’une entreprise. Ici c’est pareil, quand j’ai créé la boîte, on était 2, puis 3, puis 4, aujourd’hui on est 130. Mais je connais tout le monde, et je connais les postes. J’ai fait la compta pendant 3 ans, j’ai fait la logistique pendant 3 ans, alors certes ils ont évolué, mais j’ai l’expérience, et quand on vient me voir pour un souci de prod’, je sais. Donc ça me permet d’être toujours dans la connexion avec les équipes.

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Une Histoire D’amitié. Crédits : Oliver Haldee Pearch

Tu as une sensation de réussite, quand tu regardes à nouveau ton scénario aujourd’hui ?

Oui, bien sûr. Dans une émission il y a peu, on me montrait toutes les célébrités qui portaient du AMI. Bon j’étais un peu gêné, et j’ai ajouté qu’il s’agissait des gens célèbres, et qu’il y avait aussi tous les anonymes qui portent tout aussi bien la marque et en sont autant les porte-drapeaux. Alors qu’aujourd’hui tout est centré sur la communication et Instagram, j’aime l’idée qu’AMI serait une bonne adresse qu’on se refilerait comme un bon resto. On dit : “Tiens tu veux un beau pull, eh bien vas chez AMI, ils font des beaux pulls“. J’aime ce côté un peu terrien du commerçant.

AMI a en tout cas connu une grosse croissance d’entrée, dès son lancement en 2010. Avec le recul, comment tu expliques cette réussite immédiate ? Avec cette essence et ce style simple et élégant à la fois, n’y avait-il pas un quelque chose d’accessible qui parlait au plus grand nombre, à un moment où la mode des défilés n’était pas connectée à la rue ? Est-ce que tu n’as pas la sensation d’être de ceux qui ont permis la reconnexion ?

Oui oui, peut-être. En tout cas l’attitude. C’est une question de posture. La posture du créateur est confortable, désirable. Il est à la fois proche des acteurs, des musiciens… on est un lien. Il y a un truc qui pourrait te faire croire que tu es exceptionnel. Mais tout le monde l’est par principe, et je n’ai pas la volonté de me placer au-dessus de la mêlée. Tout ce que je fais s’adresse d’abord à mon client, c’est ce que je me suis toujours dit. Parce que tu peux avoir une très belle page dans un magazine, un super diner avec une super actrice, après s’il n’y a pas de client pour acheter tes vêtements, l’électricité tu peux la couper. Il y avait une volonté de parler au plus grand nombre. Les collections on les construis comme ça ! Par exemple j’ai vu Inès de La Fressange hier soir, elle portait un pantalon AMI, je lui fais remarquer et elle me dit : “Oui j’adore mon pantalon, mes gamines veulent me le piquer“. Voilà. “Mes gamines veulent me le piquer“. J’aime beaucoup ce truc où on est dans l’inter-générationnel, dans l’idée d’héritage, de transmission. J’aime cette idée où en 9 ans, les gamins ont vu leur père porter AMI, pour eux c’est la marque de papa, et ils lui demandent aujourd’hui : “Papa, on peut prendre ta veste pour ce weekend ?“. Ça, c’est cool. Le vêtement est un lien intime.

La preuve d’une continuité, on y revient toujours, qui fait le succès de longue date d’AMI.

Oui. Et on a aussi accompagné une évolution sur la notion de vêtement masculin. Il y a 9 ans, il y avait ce truc qu’on appelait les hipsters. Les mecs commençaient à se transformer, et on les appelait hipsters parce que d’un seul coup ils devenaient sophistiqués. Ils se mettaient de la crème dans la barbe, il y avait des pages entières dans les magazines. C’était dingue. Maintenant un garçon bien habillé ne pose plus de problème à personne. Il y a eu une grande évolution sur la notion de vêtement. Et les réseaux sociaux ont permis à l’information de circuler, tout le monde a accès à la mode aujourd’hui. Il y a 9 ans, on n’avait pas trop le choix, on n’avait pas trop de proposition. Et puis il y avait aussi ce truc capitale vs Province. On disait que les gars de Province auraient la tendance de la capitale à l’instant T trois ans après. Il n’y a plus ça maintenant. Aujourd’hui on est tous habillés pareil, à New York, Paris, Londres… les marques sont devenues globales, l’accès à l’information est globale, et quand on poste un défilé en live sur Instagram, il n’y a pas que le Parisien qui regarde.

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Élever Le Propos. Crédits : Michael Bailey Gates

Qu’est-ce qui a changé en 9 ans chez AMI, alors ?

On affine le propos. Il y a la volonté d’en faire quelque chose de solide. AMI n’est pas un feu de paille, le scénario explique ça aussi, je ne voulais pas faire un coup, on prend notre temps. Même si ça marche très bien, et que ça continue à très bien marcher, on prend notre temps. On pourrait avoir 50 boutiques, on ne l’a pas fait. Je pourrais avoir un million de followers sur Insta, j’en ai 300 000 et ça me va très bien. Mon objectif n’est pas la quantité, la grandeur ou la gloire. C’est la qualité, la précision et le long terme. Rome ne s’est pas construite en un jour, AMI ne le peut pas. Dans la mode tout va très vite, comme dans la musique ou le cinéma, ou un mec peut remplir des salles pendant un an et disparaître. Alors on essaie, en termes d’image, d’élever le propos. C’est un truc d’équation : c’est un vêtement qui est de très bonne facture, avec une très bonne qualité, de belles proportions, on travaille les détails, mais ça reste toujours simple. L’idée est de contrebalancer la simplicité du vêtement par quelque chose de plus sophistiqué dans l’image. C’est pour ça que le défilé de janvier dernier avec les rideaux et la Tour Eiffel, ce qu’on a fait au Grand Palais en juin et même là ces derniers jours au Trianon, c’est amener de la poésie, travailler de belles images avec de bons photographes… élever le propos. Je crois que le beau résistera toujours. Le beau, le bon goût, l’intelligence, l’élégance, la bonne éducation, tout ça marchera toujours. Et ce sont des valeurs fondamentales. Je travaille plutôt sur ça, sur cette philosophie. Après le manteau peut être oversize, la chemise lavée, il peut y avoir trois boutons au lieu de sept, mais tout ça s’intègre dans l’équation générale et c’est un tout qui doit résonner.

Quelle est la pièce que tu retiendras des vestiaires AMI jusqu’ici ? Un pull “Ami de coeur”, qui est l’une des plus emblématiques ?

Un manteau peut-être. J’aime bien les manteaux. Un manteau vient dans l’équation dont je viens de parler. Tu peux être en jean et en basket un peu crades, un beau manteau bien coupé, ça vient envelopper la silhouette. Tu sens avec un seul regard que c’est qualitatif. C’est ça qui résiste. D’ailleurs les gens sont extrêmement sensibles à la qualité. Il y a un truc un peu old school là-dedans, où je revois mon père dire “c’est de la bonne qualité“, et j’aime qu’on dise ça d’AMI.

Et si tu devais sélectionner un moment ?

Il y en a tellement. Rien que hier soir, être avec mon équipe réunie au Sidaction était un super moment. L’ANDAM est un bon moment, les collabs, les rencontres, bosser pour MONCLER c’était super, travailler avec Christine and the Queens aux Césars, me retrouver sur scène à placer son costume avant que le rideau ne s’ouvre c’était super, fumer une clope avec Catherine Deneuve seuls dans le Grand Palais un soir c’était fantastique, aller défiler à Shanghai il y a quelques mois était un beau moment, le défilé de mardi dernier était spécial aussi…

Photo AMI Alexandre Mattiussi

Strass Et Paillettes Au Dernier Défilé Ami. Crédits : Kristy Sparow/Getty Images

Le dernier défilé nous a aussi paru spécial, parce qu’outre la célébration et le cadre, on a senti une certaine prise de risque. Un quelque chose de très “années folles”.

Oui tout à fait. On a poussé un peu. On s’est dit qu’on avait le droit, en fait. Qu’on était libres. Parce qu’à toujours penser que les gens attendent certaines choses de toi, ça t’empêche d’en faire. Je ne suis pas le créateur auquel on pense quand on dessine une jupe à paillettes ou quand on fait une jupe folle, mais ils ne peuvent pas savoir les gens, il n’y a que moi qui sais ce que j’attends de moi, donc je le fais. Encore une fois il faut continuer à raconter l’histoire. Et je prends beaucoup de plaisir aujourd’hui à balancer ce truc d’un vestiaire qui est classique dans le bon sens du terme, intemporel, et de rajouter des choses comme une jupe à paillettes. Là je me suis dit on balance le machin, on est au théâtre, on se fait plaisir, on met de la musique, de beaux mannequins, on invite les amis, la famille, et tout va bien se passer. Les années folles ? Eh bien oui, on y est. 2020, voilà. Quelqu’un m’a dit ça la dernière fois, ça m’a fait rire : ”Les années 20, ça va être comme les années 20“. Les années folles. Oui, ça va être les années folles. Il faut que ça soit fou de toute façon. Tu vois, là dehors il y a les grèves. Je pense à tous ces gens qui galèrent, qui se battent pour leurs droits. Alors oui, il faut continuer à être fous, continuer à dépasser ses propres limites, à être créatifs, et à travailler sur son bonheur d’un point de vue universel.

Continuer à élever la marque fait donc partie des enjeux à venir, mais vers quoi d’autre tend AMI ?

Le monde est grand, mais moi j’aime bien être confidentiel parce que je trouve que ça protège les rapports humains. L’idée de grandir est importante, parce qu’il y a de la place et que des gens nous veulent, donc on ne va pas refuser ça. Ouvrir des boutiques un peu partout dans le monde, c’est quelque chose qu’on va faire. Avec une ouverture à New York cette année, on y travaille. Et puis on ira un jour à Los Angeles, puis à Tokyo, puis une autre ici, puis Milan, puis en Australie, où on a une grosse clientèle. On va continuer à grandir, sans trahir nos valeurs, et ce scénario, que je continue à écrire. Ce livre n’est pas fini, je le dis souvent, AMI est comme une série télé. Chaque défilé est un épisode, dans chaque défilé il y a une réponse à une question, mais il faut regarder l’épisode suivant pour comprendre. Et tu avances. Et il y aura un jour peut-être une fin, j’espère qu’il y aura une fin. Dans l’absolu, dans un film ou un livre, il y a un début, un milieu, une fin. Une carrière pourquoi pas, c’est bien. Bon je n’en suis pas du tout là, hein ! Je suis jeune et j’ai envie.

Et qu’en est-il du futur d’Alexandre Mattiussi justement ? On t’a souvent entendu dire que si une grande Maison que tu respectes te sollicitait, tu pourrais très bien accepter. Est-ce que c’est quelque chose qui t’intéresse toujours ?

Je n’ai jamais été fermé sur le sujet, c’est toujours séduisant sur le papier, mais j’ai déjà beaucoup de travail en fait. La volonté de devenir le directeur artistique d’une Maison, c’est motivé pour beaucoup de créateurs par un besoin réel d’argent qui permettrait de continuer de faire vivre une histoire, ou une volonté d’expérience. Ça peut être de belles expériences, ce sont des jeux, encore une fois c’est comme le cinéma, jouer dans le film de quelqu’un d’autre, et parfois c’est cool. Mais quand tu es ton propre réal, ton propre acteur, bon, tu as déjà du travail – certains le font, mais ils souffrent. Moi je dis toujours que je veux bien entendre, et imaginer la possibilité que c’est possible, mais en fait ça ne l’est pas vraiment. Et ça me va très bien parce que je suis très heureux ici.


Credits
Photographer
Michael Bailey Gates/Pete Casta Hypebeast France
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