La Maison Prada avait-elle besoin de Raf Simons ?
La nomination du designer Belge soulève plusieurs questions.
Si les rumeurs l’annonçaient chez Miu Miu, Raf Simons a finalement bel et bien rejoint Prada il y a quelques semaines. Le designer belge est devenu co-directeur artistique de la Maison italienne aux côtés de Muccia Prada, petite fille du fondateur. Un choix de prestige pour le créateur qui quittait Calvin Klein il y a quelques mois, mais qui a suscité quelques questions. Pourquoi Muccia Prada, créatrice déjà reconnue dans le monde de la mode, a souhaité s’associer au designer ?
L’annonce d’un partenariat entre Raf Simons et Prada n’aura pas forcément été une surprise pour ceux qui auront suivi la carrière du Belge. Depuis longtemps admirateur du travail de la créatrice, Simons se confiait sur sa relation avec la Maison italienne à l’occasion d’une interview croisée avec Muccia Prada pour le magazine System, témoignant : “Je ne porte pas uniquement du Prada parce que j’aime ses vêtements, c’est aussi parce que Muccia a un état d’esprit auquel je peux m’identifier.” La connaissance, l’appréciation et l’éthique similaires du duo pour le design, leur penchant pour l’originalité et leur modernisme avant-garde semblent faire des deux designers une paire naturelle, du moins sur le papier.
Yanni Vlamos/Indigitalimages.com
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Mais quel rôle pour Simons chez Prada ? Le designer appelé pour travailler sur les collections menswear de la marque et ses différentes filiales fera également son grand retour au womenswear, un marché abandonné par son label. En effet en 2005, sollicité par Patrizio Bertelli, PDG du groupe Prada et mari de Muccia, Raf Simons officiait déjà à la tête des collections Homme et Femme de Jil Sander. Le Belge y restera pendant sept ans avant de prendre la tête des collections féminines de Dior pour trois années remplies de succès et d’acclamations. Et si le travail de Simons chez Calvin Klein entre 2016 et 2018 a été plutôt bien reçu par la critique, les louanges ne se sont pas conclues par des ventes en hausse comme a pu le constater le groupe PVH qui détient le label américain.
En effet, Calvin Klein a connu une faible croissance lors du passage de Simons au sein de la marque. Des résultats mitigés soulignés par le groupe PVH lors du bilan du troisième trimestre 2018 de la marque. Un rapport révélera une croissance de 2% en un an pour Calvin Klein, une déception pour le PDG Emanuel Chirico qui pointera alors du doigt “le manque de retour sur investissement après son engagement dans le label Calvin Klein 205W39NYC.”
Eddie Lee/Hypebeast
Une baisse de recettes de 142 millions de dollars à 121 millions de dollars pour ce même trimestre que le PDG du groupe expliquera par des “problèmes de design” ainsi qu’une “augmentation approximative de 10 millions de dollars en frais de création et de marketing”. Des mauvais résultats qu’il imputera à une direction artistique de Calvin Klein 205W39NYC “trop éminente et trop avant-gardiste pour notre consommateur régulier.”
Si l’esprit créatif de Simons ne semblait pas adapté à une marque telle que Calvin Klein, peut-être le sera-t-il pour la Maison italienne. Prada a dévoué ses dernières saisons à séduire un public jeune et aisé, que ce soit à travers le retour de la ligne Linea Rossa, des drops limités ou des pièces fortes en messages et en imprimés. Fin 2019, Prada s’est même associé à adidas pour une collaboration inédite et prestigieuse concrétisée par une série de sneakers et de sacs. Simons pourrait donc faire partie intégrante de cette nouvelle stratégie de Prada tournée vers un consommateur masculin adepte de streetwear.
Ben Awin/Hypebeast
Avec son bras droit Pieter Miuler – qui ne rejoindra pas Simons chez Prada – le label du Belge ne s’est jamais vraiment aventuré sur la scène streetwear. Le penchant de Raf Simons pour le tailoring et ses références artistiques parfois sombres ne s’accordent pas toujours au style contemporain, n’empêchant pas le directeur artistique de plaire à la “youth culture.” Les inspirations de Simons vont des musiciens post-punk aux uniformes scolaires, apportant de manière innée son identité créative à une nouvelle génération de collectionneurs, créateurs et consommateurs.
Ses pièces à imprimés – et notamment ses collaborations avec les artistes Peter Salville ou Sterling Ruby – ses matériaux superposés ou encore ses sneakers en collab avec adidas ont su séduire des personnalités telles qu’A$AP Rocky ou Kanye West, prouvant ainsi l’influence de Simons dans la culture contemporaine. L’approche du Belge en matière de design couplée à des pièces fortes a su séduire les consommateurs familiers du “streetwear cool”, conférant un statut de prestige à sa marque éponyme.
Kanye West wearing $47,000 USD Raf Simons “Riot! Riot! Riot!” bomberJacopo Raule/Gc Images/Getty Images
Et alors que de par son exclusivité et son succès auprès des célébrités Prada semble déjà bénéficier de l’étiquette du “cool”, Simons apportera à la Maison italienne le “bad boy cool” qui le caractérise. Sa présence aux côtés de Muccia Prada pourrait ainsi aider le label à attirer un public plus jeune, un marché en pleine croissance qui semble déjà séduit par les accessoires en nylon de Prada que l’on retrouve de plus en plus chez les amateurs de streetwear.
Et si le travail du Belge chez Calvin Klein ne s’est pas révélé très lucratif, l’influence de ses créations n’est plus à prouver. Ses premiers designs pour la marque lancée en 2017 ont notamment largement contribué à la tendance du déconstruit au cœur du vestiaire masculin. Les ventes décevantes peuvent alors s’expliquer par la non-familiarité du public de Calvin Klein avec le luxe, les prix plus onéreux de cette ligne lancée par Raf Simons ou aux designs trop avant-gardistes pour le consommateur moyen de la marque américaine. Les créations premium et le design audacieux de Raf Simons pourraient cependant plaire aux clients de Prada, habitués à une gamme de prix plus élevés et à des créations originales.
Depuis le lancement de sa ligne masculine en 1993, Prada ne s’est que très peu éloigné de sa formule gagnante : un tailoring intemporel détaillé d’imprimés arty couplé à une influence sportswear. Les pièces clés de la Maison reviennent chaque année, mais la magie du label vient de la vision contemporaine et de la grande connaissance de la mode de Muccia Prada qui parvient chaque année à définir de nouvelles tendances.
Filippo Fior/Gorunway.com
Alessandro Lucioni/Gorunway.com
Les collections menswear de Prada ont beaucoup en commun avec la philosophie de conception de Simons, bien que l’approche de chaque marque soit bien distincte. Parfait exemple, les derniers vestiaires des deux labels proposaient un tailoring réinventé à travers divers détails en knitwear, fourrure et lignes épurées. Des inspirations communes symbole d’une harmonie entre les deux designers. De bon augure pour le futur de la Maison italienne.
Et si à l’âge de 70 ans Muccia Prada réfute encore et toujours les rumeurs de retraite, prouvant à chaque collection sa connaissance de la mode, l’arrivée d’un directeur artistique plus jeune apporte de nouvelles perspectives tout en attirant un public plus jeune. En accueillant Raf Simons à sa tête, Prada prépare ainsi les années à venir tout en gardant la légitimité de l’emblématique directrice artistique qui dirige l’entreprise familiale depuis 1978.
Traduit de HYPEBEAST.com.
