Entre pertes, craintes et espoirs - 5 marques françaises se confient sur l'impact du coronavirus

Analyse avec les fondateurs d’Études, Drôle de Monsieur, Tealer, Homecore ou Benibla.

Mode 

La mode est touchée de plein fouet par le coronavirus. L’épidémie avait déjà bousculé le secteur à partir de sa propagation en Chine fin janvier, privant les Fashion Weeks de nombreux acheteurs jusqu’à provoquer l’annulation de défilés. Depuis étendue au monde entier avec l’Europe comme épicentre, elle a entraîné la révocation de nouveaux événements, le report de lancements de produits ou collections et surtout, dans le cadre des mesures de confinement qu’elle a imposées aux pouvoirs publics, la fermeture des boutiques. Tandis que les géants du secteur annoncent déjà leurs pertes potentielles, qui se chiffrent en milliards, on a voulu en savoir plus sur l’impact de la crise sanitaire pour les marques françaises de moindre envergure mais pour autant solidement ancrées dans le paysage. Les fondateurs d’Études, Drôle de Monsieur, Tealer, Homecore ou encore Benibla, des labels aux postures et fonctionnements divers, nous ont ainsi décrit leurs quotidiens chamboulés, les conséquences qu’ils ressentent déjà, de même que leurs peurs et espoirs pour l’avenir. Parce qu’ils en sont en effet tous persuadés : quelle que soit la durée du confinement, le COVID-19 aura un impact durable.

Un impact non pas sur une, mais trois collections

On a vraiment enchaîné une année de merde. Gilets jaunes, grèves, et maintenant ça…” Comme tous les designers que nous avons pu interroger, Jeff Tealer souffle, au moment de lancer la conversation au sujet du coronavirus. “Un coup dur” pour tout le monde, et ce à plusieurs titres : pour ceux qui en possèdent, il y a déjà la fermeture des boutiques physiques, qui les privera d’un chiffre d’affaires important. “On part sur une année à 10 mois, 10 mois et demi“, synthétise Aurélien Arbet, co-créateur d’Études. Moindre mal pourrait-on se dire, les livraisons sont toujours possibles. Mais dans les faits, la logistique n’est pas simple : “Comme les produits ne sont pas de première nécessité, on ne peut faire qu’un ou deux envois groupés par semaine” nous signale Benibla, quand Dany Dos Santos de Drôle de Monsieur ajoute que “les centres de stocks sont partiellement fermés“. Et que les commandes ralentissent, “parce qu’en cette période, les consommateurs n’ont pas la tête à acheter des vêtements“. Dans l’absolu même un Tealer, qui réalise le “gros de son chiffre en direct sur le net” et se dit moindrement impacté à l’heure actuelle, s’interroge sur le maintien durable des livraisons au vu des durcissements réguliers des mesures de confinement.

Photo Études

Drôle De Monsieur Aw20. Not For Tout De Suite Madame. Crédits : Pete Casta/Hypebeast France

La perte d’argent immédiate, voilà donc ce que les marques constatent d’emblée dans cette crise – quand bien même les aides aux entreprises annoncées par le président Macron leur apparaissent rassurantes. Mais nos intervenants sont aussi tournés plus loin, et s’inquiètent pour leurs prochaines collections. À commencer par l’Automne/Hiver qui se profile, la production en usine, majoritairement assurée au Portugal ou en Italie, étant au mieux ralentie sinon totalement bloquée. De quoi laisser augurer un retard à la livraison… et un chamboulement pour la saison suivante. Parce que ce que les marques basées sur la saisonnalité traditionnelle – pas forcément le cas d’un Tealer qui nous signale avoir pu annuler une production – attendent à l’heure actuelle, ce sont les prototypes de leur vestiaire Printemps/Été 2021, censés leur parvenir de ces mêmes usines… sur la base de matières premières locales. “Ça nous affecte au niveau des délais d’arrivée des tissus, pièces, matériaux pour faire les prototypes. Beaucoup viennent d’Italie donc c’est compliqué, et on n’a pas de visibilité sur la réception. Nos usines sont au Portugal où la situation est la même, donc derrière pour la confection des protos c’est beaucoup plus long. Il y a des dates qu’on n’arrive pas à avoir, et on est dans un secteur où un jour, c’est un jour“, témoigne DDM. Des retards préjudiciables en vue des showrooms, présentations et autres défilés prévus pour le mois de juin, lors desquels les marques recevront des acheteurs du monde entier.

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Études Aw20. Crédits : Nicolas Poillot/Études

Du côté d’Études, qui doit justement défiler lors de la Fashion Week de Paris en juin prochain, on reste serein pour la confection de cette collection. “Nous bizarrement sur cette saison Printemps/Été 2021, ça fonctionne encore. De la part des fabricants et fournisseurs de tissus, il n’y pas de blocage. Alors on ne sait pas pour combien de temps encore, mais on continue de recevoir des tissus et autres tests d’impressions“, confie ainsi Aurélien Arbet, lequel s’inquiète plutôt, comme ses pairs par ailleurs, du changement brutal de son fonctionnement habituel, qui pourrait rejaillir sur le rendu final. Confinement oblige, les équipes sont en effet séparées, et le processus créatif chamboulé. “On vit moins notre collection, on échange sur Skype, WhatsApp, mais du coup on n’est pas dans le même processus. Habituellement on est en immersion, dans un travail collectif. À distance c’est plus dur. Il n’y a pas cette partie effervescente du studio, où chacun partage ce qu’il reçoit et ses idées. On n’a pas non plus tout notre matériel, il a fallu repasser au bureau en extrême urgence récupérer les derniers essais de tissus. Là on se fait livrer des colis individuellement, à droite à gauche, selon les équipes. En temps normal, d’ici 15 jours la collection serait bouclée. Là, ça prendra plus de temps“, assure-t-il. Pour tous nos intervenants, la crise accouchera sans l’ombre d’un doute de collections SS21 plus petites. Et un prolongement du confinement pourrait même, selon Dany de Drôle de Monsieur, jeter un voile sur les showrooms, voire même la Fashion Week.

La peur d’une “deuxième vague”…

Le designer de DDM partage une autre crainte. Celle de voir succéder au déséquilibre actuel un second que le secteur se serait créé lui-même. Une deuxième vague qui déferlerait dès la reprise des productions en usine : “Le souci, c’est que quand les usines vont reprendre, elles auront énormément de travail et de retard. Elles vont donc très certainement donner la priorité à leurs plus gros clients, Maisons ou autres géants, plutôt qu’à nous. C’est un comportement qui se comprend mais qui aura des conséquences“. De fait, les marques premium produisant souvent dans les mêmes lieux que leurs pairs renommés du luxe, survient la peur de se voir griller la priorité sur la reprise de production, accentuant les retards déjà anticipés. Sur la même base, Dany appréhende aussi les futures négociations avec les retailers. “Pour la collection actuelle, il faut noter que nos retailers ont fermé leurs boutiques, du coup le taux de sortie avant soldes va être très faible. Les boutiques indépendantes vont perdre de l’argent, donc elles auront un budget réduit pour leurs prochaines commandes. De là, soit elles achètent moins de produits, soit elles dégagent carrément des marques de leur sélection. Ce qui est risqué pour nous, jeunes marques : sur une boutique qui a de gros labels, elle les privilégiera face à nous. C’est un impact qu’on redoute“, expose-t-il.

Photo Études

La Nouvelle Boutique (fermée) D’homecore à Paris. Crédits : Homecore

Même son de cloche chez ses homologues. Tealer a beau faire le gros de son chiffre d’affaires avec son eshop, il compte 90 détaillants en France et une trentaine à l’étranger, et parmi eux beaucoup de petits skateshops, “pour qui c’est déjà dur et qui là, de devoir fermer alors qu’ils ont fait des pré-commandes avec des marques comme nous, vont peut-être devoir le faire définitivement…” Ou à défaut, annuler tout ou partie des commandes, mettant dès lors un autre coup financier aux marques. C’est ce qu’évoque Alexandre Guarneri d’Homecore, et à juste titre alors que l’enseigne Printemps, qu’on voit pourtant solide, a avisé – avant d’être rattrapée par la patrouille – ses fournisseurs d’un gel des paiements. “Nous on a tout lancé, on a prévu une trésorerie par rapport à ça, payé des avances, planifié des encaissements… C’est un déséquilibre entre nous et le client, qui fait que s’il dit ‘non j’arrête’, ben tu te retrouves avec sa commande dans tes stocks et sans l’argent pour payer tes fabricants. Alors oui, c’est régi par un contrat, mais si la boutique vient te voir en te disant qu’elle n’a pas fait de ventes sur l’été et qu’elle ne peut pas payer, t’es obligé de l’écouter. Mais a priori on ne va pas vers cette configuration, parce que ce serait un deuxième déséquilibre qu’on se créerait nous-mêmes“, glisse le créateur de la première marque streetwear française, qui préfère donc s’affirmer optimiste pour la suite. Une position partagée par Aurélien Arbet, pour qui la posture frileuse des retailers pourra être tempérée par une offre adaptée. “C’est à nous, et c’est déjà des réflexions qu’on a, d’adapter notre offre. Peut-être proposer un peu moins, éliminer le superflu au profit de designs qu’on imagine être des valeurs sûres, des essentiels parfaitement aboutis. Je pense que si tu arrives avec des produits à la fois novateurs et optimistes, qui donnent envie en opposition à une collection trop large et étendue parce qu’on sait que tout le monde arrivera frileux, ça peut séduire les acheteurs. Il y aura des réductions de budget, à nous de proposer quelque chose de juste et qui donne envie“. De quoi peut-être redessiner tout le secteur de la mode, ce à quoi en appelle certains designers.

… et l’espoir d’un changement profond de l’industrie

Que la crise du coronavirus entraîne un changement profond et positif, c’est par exemple le souhait du fondateur d’Homecore Alexandre Guarneri. Plus qu’un souhait même, une évidence qui irait dans le sens de l’Histoire. À l’heure où la mode est ballottée entre hyper-productivité et participation à l’effort écologique, un tel événement pourrait selon lui faire pencher la balance du bon côté. “Ce que je trouve assez intéressant, socialement, humainement, c’est que ça nous met face à toutes les incohérences qu’il peut y avoir dans la mode, toutes ces futilités, et ça nous force, ou du moins moi me renforce parce que je le fais déjà, à poursuivre cet effort de réduire les collections, faire moins de pièces mais plus intéressantes, utiles, durables en termes de praticité et d’esthétique, qui envoient un message et donnent de la joie. On était dans quelque chose où il fallait sortir des nouveautés tout le temps, et là c’est tellement hors contexte que de parler de la dernière chaussure, chemise ou autre produit, qu’on se dit à quoi ça sert ? Quand on va sortir de cette crise, ça ne sera plus comme avant, je pense qu’on ira à l’essentiel, de plus en plus“, lance-t-il convaincu. Aurélien Arbet, lui, espère. “Il y aussi une tendance à vite reprendre les vieilles habitudes, à mettre des œillères et repartir, mais c’est une situation inédite, exceptionnelle, qui touche tout le monde. En ce sens là, je pense qu’il y aura beaucoup de réactions et j’espère que beaucoup de discussions, de réflexions qui étaient déjà engagées dans cette direction, iront au bout. Oui, je suis persuadé que ça va changer le milieu de la mode“. Et nos designers de plancher sur ce changement.

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Homeworking Chez Benibla. Crédits : Benibla

De fait, dans cette période de crise, tous nous assurent d’une seule et même voix être boostés sur le plan créatif. “Pour moi c’est hyper inspirant comme période, poursuit Alexandre Guarneri. Non seulement je vais réduire la collection Printemps/Été 2021, mais je vais aussi changer certains produits pour leur donner un peu du goût de ce moment là. Vraiment, vraiment, ça donne envie de tout réduire, et de tout réfléchir autrement. En tout cas, nous on va poursuivre la démarche. On va enfoncer le clou, c’était prévu mais ça accélère l’envie de le faire“. Études cherche de son côté à être “plus créatif et innovant au vu de la situation, on se le doit et on a toujours été dans les réflexions sociétales, alors ce sont des challenges qui nous sont présentés“. Chez Drôle de Monsieur, on cherche des alternatives locales aux matières ne pouvant être importées et on réfléchit à comment communiquer autrement sur les réseaux. Tealer “met la gomme sur Internet” et a lancé un festival musical inédit sur les réseaux, quand Benibla offre cache-nez et écharpes pour chaque commande, en attendant des masques qu’il aura confectionnés en recyclant ses stocks de casquettes. Que ressortira-t-il de la crise, réponse dans les prochains mois. Mais entre leurs craintes et espoirs, les marques serrent les dents et avancent, la créativité s’exprime et débouchera quoi qu’il arrive sur quelque chose d’unique, de différent. Alors au fond et comme le résumera Dany Dos Santos de Drôle de Monsieur, toujours habile pour les slogans, “tout va mal mais tout va bien, et tout finira bien“.

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