Mais au fait… Comment les marques sont-elles sélectionnées pour défiler à la Fashion Week ?

On est allé poser la question à la Fédération et à d’heureux élus.

Mode 

La grand-messe de la mode est de retour. La Fashion Week Homme de Paris se tiendra du mardi 14 au dimanche 19 janvier, et son calendrier laisse encore augurer le plus haut degré de créativité, parfaitement équilibré qu’il est entre les présences de Maisons historiques et de marques émergentes de talent. Parmi elles, se trouveront 5 nouveaux entrants, dont on peut aisément imaginer la fierté. Défiler, ou “donner l’impulsion de ce qu’est sa marque, l’impulsion la plus avant-gardiste ou créative de ce qu’elle est” ainsi que le définit idéalement le co-créateur d’Études Aurélien Arbet, est autant une reconnaissance du milieu qu’une formidable opportunité. D’autant plus à Paris : la version française est tout en haut de l’échelle des Fashion Weeks, bien devant ses pendants milanais, londoniens ou new-yorkais, et celle qui attire le plus de journalistes et d’acheteurs. Elle est donc logiquement la plus convoitée des marques qui voient le défilé comme la suite logique à leur développement. Mais comment accéder au Graal ? Comment une griffe émergente est-elle sélectionnée pour combler les rares places laissées vacantes d’une édition sur l’autre ? On est allé demander à l’organisateur, la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, et à certains des derniers jeunes labels à avoir intégré le calendrier officiel pour avoir une idée plus claire sur les modalités de sélection. Quand bien même cette dernière restera nimbée de quelques mystères, confidentialité oblige.

Photo Défilé Fashion Week Paris

Casablanca, Nouvelle Marque Intégrée Au Calendrier. Crédits : Jeremy Razafintseheno

L’accession à la Fashion Week, charge d’un comité indépendant sous des conditions simples

La Fashion Week est donc chapeautée par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode. Cette dernière, bien que régie par un Comité Exécutif et un Conseil de direction qui ont sur le papier le pouvoir décisionnel et le contrôle, laisse la sélection des marques à intégrer au calendrier à un comité consultatif. Placé sous l’égide du président de la “chambre syndicale” concernée – du nom des trois départements Homme, Femme et Haute Couture – il est composé d’acheteurs et de journalistes, autrement dit les destinataires premiers de l’événement. L’équipe est constituée au préalable, et se veut gage d’un “regard professionnel et indépendant. Les membres tournent, leur identité est confidentielle et eux-mêmes sont tenus à la confidentialité“, nous fait savoir un porte-parole de la Fédération. Lequel nous assure que le comité en question doit ensuite analyser les dossiers réceptionnés. Parce que là est sa première spécificité, la sélection est faite sur candidature, et non par démarchage.

Les marques voulant défiler sont donc tenues de postuler. Rien de plus simple qu’un mail à envoyer depuis le site de la Fédération, dont le contenu serait aussi léger que le traditionnel combo C.V./lettre de motivation. En effet, ainsi que l’induit la brève description sur la page dédiée, les conditions d’éligibilité à remplir se comptent sur les doigts d’une main : il suffit de justifier d’une structure juridique, d’au moins une collection commercialisée, d’un nouveau vestiaire qui ne serait pas uniquement composé d’accessoires, maillots de bain ou robes de mariée, et de témoigner d’un souhait de s’inscrire sur le long terme au calendrier. Si simple que ça ? “Le process n’est pas si compliqué, acquiesce Pierre Mahéo, fondateur d’Officine Générale, l’une des ultimes marques françaises à avoir accédé à la PFW en 2014. Derrière, il y a un dossier à remplir, et on avait aussi plusieurs entretiens organisés“. Même son de cloche chez Aurélien Arbet d’Études, qui décrit “des rencontres. Ils connaissent ton projet, tu expliques où tu veux aller, comment tu fonctionnes, tu donnes tes chiffres, et en fonction du dossier, le comité donne ou pas son accord“. C’est donc après réception dudit dossier que tout se joue. Et que s’ouvre la question la plus intéressante, celle de savoir quels sont les critères pour choisir les heureux élus.

Photo Défilé Fashion Week Paris

Défilé Fw19 D’officine Générale. Crédits : Saviko/Gamma-Rapho Via Getty Images

Des critères de sélection basés sur la créativité… et la réalité commerciale

Sur cette question fatidique des critères, la Fédération n’est pas des plus loquaces. “On ne communique pas dessus“, nous assure-t-on ainsi d’emblée, ajoutant “qu’il n’y a pas de règles, mais énormément de facteurs qui rentrent en compte. Ce sont des échanges, qui mènent à des décisions“. Si ces facteurs ne sont pas donc pas détaillés, bien qu’Aurélien Arbet d’Études se rappelle par exemple “d’une taille minimale de collection“, l’instance accepte de nous citer les deux grands axes qui les englobent. Avec en premier lieu le vêtement, qui doit être porteur d’un savoir-faire inhérent à la qualité, et surtout de créativité. “Quand on voit la créativité débordante qu’il y a à Paris, c’est le point le plus important, nous explique-t-on à la Fédération. On ne va pas faire défiler des marques qui font du B to C, ce n’est pas de la créativité. Il faut cet aspect là“. Ça, et la réalité commerciale, ou le deuxième grand critère de sélection.

Faire des choses complètement dingo c’est super, mais s’il n’y a pas de réalité commerciale derrière c’est compliqué, synthétise le porte-parole de l’instance. Il faut une capacité à être distribué à l’international. Il est important de rappeler qu’une collection existe à partir du moment où elle se vend, donc il faut qu’il y ait une bonne balance entre créativité et réalité commerciale. Il y a plein de jeunes marques qui veulent absolument défiler, être sur le calendrier, mais elles ne sont absolument pas capables d’absorber les coûts de gestion que représentent un défilé. Nous on est là pour travailler sur ces points là : d’une part assurer la grande créativité des marques, mais également s’assurer qu’elles ne se font pas mal en candidatant“. “Ils nous testent en tant que designer, mais aussi en tant que chef d’entreprise, résume parfaitement Pierre Mahéo. On peut vouloir défiler pour différentes raisons, par égo, par envie de briller, d’appartenir à quelque chose, mais il faut un point de vue de développement derrière. Le rayonnement à l’international est nécessaire. La Fashion Week s’adresse à des journalistes et acheteurs qui viennent des quatre coins du monde, donc savoir qu’on a un marché américain qui se développe, qu’on est présent en Asie, c’est important pour eux. La Fédération est garante d’un fonctionnement. Il ne faut pas jeter une marque en pâture aux lions. Il ne faut pas de marque qui vienne et reparte parce qu’elle se serait effondrée financièrement. Ce point de vue là est très important pour eux, et je le respecte totalement“, explique-t-il, voyant donc dans la sélection, comme son homologue d’Études Aurélien Arbet, “une forme de protection“, et dans l’absolu “une approche bienveillante“.

Photo Défilé Fashion Week Paris

Défilé Études Fw19. Crédits : Jeremy Razafintseheno

“Il faut que les calendriers soient intéressants, diversifiés, disruptifs”

De fait, la Fédération clame ne pas être “une grande instance castratrice qui dit oui ou non“, et vante “une sélection professionnelle par des professionnels” faite pour le bien des marques. “Quand on refuse, ce n’est pas de la méchanceté de notre part, parfois c’est une question de niveau. Question de niveau parce que la barre est haute, compte tenu des Maisons qui défilent à Paris en termes de créativité, mais aussi parce qu’on considère que les marques ne doivent pas se mettre en danger. Il y a de petites Maisons à qui on ne recommande pas de défiler“. Et ce, quand bien même elle assure après une admission un soutien logistique, voire financier – par le biais du Défi. Rien n’est laissé au hasard, mais la rudesse apparente du processus a pour résultat le calendrier riche et réussi qu’on reconnaît aujourd’hui à Paris, lequel ne bougera par ailleurs que très peu dans le temps.

Aussi peu de mouvements puisse-t-il y avoir au programme, les marques émergentes y auront toujours leur place. Et loin d’être les miettes qu’on pourrait y voir, puisqu’elles seront sur les podiums l’expression de tendances avec un grand T, d’un nouveau regard sur la mode et la société, indissociables désormais. Les garants d’une certaine modernité. “Parfois il y a des grands mouvements et oui, c’est intéressant de regarder plus attentivement, ce fut notamment le cas au moment de la naissance de tous les collectifs. Il faut que les calendriers soient intéressants, disruptifs, donc tournés vers la jeune création. C’est l’avenir de la mode, la mode est le reflet de la société, les gens qui montent des entreprises maintenant sont des gens qui ont quelque chose à dire sur la société. Ça assure une diversité, une disruption, de la créativité différente, l’idée étant de montrer des univers à part. On tourne toujours autour de la créativité, qui prévaut“, nous dit-on à la Fédération. Cette dernière a beau assurer que le défilé “n’est pas forcément la meilleure manière de s’exprimer“, arguant que sa petite soeur la présentation n’avait plus rien d’un parent pauvre, elle sait bien que les postulants répondront toujours à l’appel, le show parisien faisant plus que jamais office de grande quête. Preuve en est, “il y a de plus en plus de candidatures chaque année, sur toutes les chambres. Paris fait de plus en plus effet“. Et les places d’y être de plus en plus chères.

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