Dosseh, Le Lo$$a Habitué Au Charbon
“Finalement ça paye d’être un lo$$a.” – Interview.
“Aide-toi et le ciel t’aidera”. Malgré sa foi indéniable, Dosseh ne s’est jamais reposé sur un coup de pouce céleste pour avancer. Habitué au charbon depuis ses débuts dans la musique il y a plus de 10 ans, le frère du pionnier du rap français Pit Baccardi a placé Orléans sur la carte à coup de bangers, de mixtapes et de travail acharné. Alors que la France commence seulement à s’habituer au piano-voix de Dosseh, l’artiste vient de sortir un nouvel opus percutant, Vidalo$$a, inspiré d’une vie où les “S” n’ont pas toujours été des “S” dollars. Vêtu de labels de luxe témoignant de sa versatilité artistique, Dosseh raconte l’album qui devrait le propulser sur une autre planète. Entre mode et musique, le lo$$a évoque son odyssée à travers les astres qu’il a bougé à la sueur de son front pour trouver l’alignement parfait et mettre des “$” dans sa vida.
Dosseh porte une veste en cuir Facetasm, une veste en jean Cheap Monday, un jean Cheap Monday et des boots Louboutin.
HYPEBEAST France : La couverture de Vidalo$$a est très colorée, comment se reflètent ces couleurs dans l’album ?
Dosseh : La cover dégage quelque chose d’assez explosif. Elle est à l’image de l’album, elle “bang” dès qu’on la voit.
HB : Jean-Michel Basquiat a dit : “Je ne pense pas à l’art quand je travaille. Je pense à la vie.” Quand tu as écrit Vidalo$$a, à quoi pensais-tu ?
D : Oui c’est un peu mon cas et je pense que c’est pareil pour beaucoup de monde. C’est la vie qui m’inspire. Ce que je vois, ce que je vis, ce qu’on me dit, ce que mes proches vivent. Que ce soit pour des phrases, des titres ou des thèmes, je note toujours des petites choses que je vis au quotidien. Par contre, je ne pense pas que ça fasse de moi quelqu’un de curieux parce que je ne m’intéresse pas forcément aux autres cultures ou à tout sur tout. Mais quand quelque chose m’intéresse, je m’y intéresse vraiment.
Quand tu veux que ton auditeur se reconnaisse dans tes propos, c’est très important de mettre des références dans tes textes et de les illustrer avec des exemples. Que je fasse un morceau égo-trip ou que je raconte une histoire, il faut que la personne qui écoute puisse fermer les yeux et se représenter des images comme si elle était dans un film.
HB : Justement, quel genre de film serait Vidalo$$a ?
D : Ce serait un vrai film de gangster. Un genre de Training Day mais pas du point de vue des flics, vu depuis la rue.
Dosseh porte une veste Fendi et un pantalon Amiri.
HB : Pour un “infréquentable”, tu es assez présent dans la presse. Tu es à l’opposé de ces rappeurs qui privilégient une communication quasi-inexistante, pourquoi cette stratégie ?
D : Ce n’est pas forcément une stratégie d’être dans les médias, c’est juste qu’on sort un projet donc on se doit de communiquer dessus. C’est plutôt l’absence de communication qui devient une stratégie.
“Les codes de la rue aident les grandes maisons à se renouveler mais je pense que ça a toujours été comme ça. La rue a toujours inspiré la mode d’une manière ou d’une autre.”
HB : Il y a beaucoup de références au style et à la mode dans ta musique, quelle rapport entretiens-tu avec la mode ?
D : J’aime les grandes maisons, les beaux habits et les belles pièces, mais tout ça garde une place normale dans ma vie. Je travaille dans l’industrie du spectacle donc je dois savoir me mettre en valeur que ce soit sur les réseaux, dans mes clips ou dans la vie.
HB : Que penses-tu de cette tendance qui voit le luxe puiser ses inspirations dans la culture urbaine ?
D : Les codes de la rue aident les grandes maisons à se renouveler mais je pense que ça a toujours été comme ça. La rue a toujours inspiré la mode d’une manière ou d’une autre et en ce moment plus que jamais. Tu peux retrouver des grandes marques de luxe qui ont des lignes entières très urbaines.
Dosseh porte une veste manches longues et une sacoche Valentino, un T-shirt J.W Anderson et un gilet Namacheko.
HB : Que penses-tu de la nomination de Virgil Abloh à la tête de l’homme chez Louis Vuitton ?
D : Pour moi c’est une suite logique. Ces grandes maisons n’ont plus le choix si elles veulent rester dans le coup. Pour moi c’est une victoire du hip-hop et de la culture urbaine de manière générale. C’est la preuve que les marques de luxe ont abdiqué. Elles ont compris qu’il fallait composer avec nous et que les nouveaux influenceurs étaient souvent issus de la culture urbaine.
Ils ont compris qu’ils n’avaient plus le choix et maintenant ce sont les grandes marques qui s’adaptent aux codes du hip-hop. Ça démontre la puissance de notre culture. Mais je ne suis pas amer, l’industrie de la mode reste une industrie comme une autre, comme celle de la musique. Son but c’est de générer de l’argent et si elle remarque quelque chose qui fonctionne, elle va se l’accaparer. Ces marques sont juste opportunistes et si tout le monde y trouve son compte c’est tant mieux.
“”Aide-toi et le ciel t’aidera” comme on dit. Mais “s’aider”, c’est bosser, se battre, grimper et c’est à ce moment là que le facteur chance va se déclencher.”
HB : Au dernier défilé LV il y a avait une majorité de rappeurs américains comme Kid Cudi, A$AP Rocky ou Playboi Carti. Pourquoi la mode ignore t-elle les rappeurs français ?
D : Selon moi, c’est surtout une question d’image. Je pense qu’en France on utilise un peu le terme d’influenceur à tort et à travers. Ici on pense que c’est juste quelqu’un qui a beaucoup de followers mais en fait c’est une personne qui a une image et une identité tellement forte qu’elle va inspirer et influencer les gens. Ce pouvoir d’influence montre la force des américains à ce niveau là. Même moi, ça m’arrive de voir des artistes américains et me demander, “pourquoi ils sont si chauds ?”.
En France, ce n’est pas encore le cas même si c’est vrai que l’industrie américaine leur permet beaucoup de choses. Certains rappeurs ont des stylistes et avant de poster une photo sur Instagram il y a déjà tout un dispositif autour d’eux. En France, je ne connais personne qui se balade avec son styliste. Et puis tous les artistes n’ont pas forcément une sensibilité mode non plus. Je suis dans le rap et je vois bien la différence entre les États-Unis et la France. Certains peuvent envoyer avec des pièces simples et c’est de ça dont je m’inspire à mon niveau.
HB : Parfois on a l’impression que certains ne sont même plus des rappeurs, comme A$AP Rocky par exemple.
D : A$AP Rocky c’est un peu ça oui. J’ai écouté quelques sons de l’album et à part celui avec Skepta et 2, 3 autres, rien ne m’a vraiment frappé. Par contre, il était bien à tous les défilés et quand on le voit, peu importe ses sapes, tout le monde est d’accord pour dire qu’il est chaud.
Dosseh porte un ensemble Samsøe Samsøe et un gilet Givenchy.
HB : Si on mettait de côté cette interview et on te laissait parler de ce que tu veux, de quoi parlerait-on ?
D : Je parlerais de musique, de la notion de travail et de charbon. J’estime que dans la vie il n’y a pas de secret et que la seule chose dont tu peux être sûr des retombées, c’est le travail. Certains évoquent le facteur chance mais la chance est toujours provoquée, tu vois ce que je veux dire ? Un mec qui reste chez lui et qui ne fait rien il n’aura aucun facteur chance et aucune opportunité. “Aide-toi et le ciel t’aidera” comme on dit. Mais “s’aider”, c’est bosser, se battre, grimper et c’est à ce moment là que le facteur chance va se déclencher.
Si je devais parler pendant des heures, je parlerais de ça, de boulot. Je suis habitué au charbon et peu importe dans quel domaine, dans la photo ou le cinéma… Il faut avancer étape par étape, se spécialiser et foncer. Si tu veux devenir quelqu’un, tu ne peux pas devenir quelqu’un dans tous les domaines en même temps. Dans la musique c’est la même chose. On ne peut pas devenir quelqu’un en faisant tout et n’importe quoi. Si le lundi tu fais de la trap, le mardi de l’afro, le mercredi du R&B… les gens ne vont pas te cerner. Il faut se spécialiser, devenir le meilleur dans son domaine et quand les fondations de ton travail sont solides, tu peux t’attaquer à autre chose. C’est comme ça que tu deviens un taulier.
Dosseh porte une veste Sacai, un pantalon Y-3 et des chaussures Adieu.
HB : Sur cet album on a l’impression que tu tentes de nouvelles choses, mais comme si tu les avais toujours faites…
D : C’est simple, j’ai fait des choses que je sais faire depuis toujours. Je n’ai pas appris à chanter sur Vidalo$$a. Oumar mon manager m’a souvent dit que ce n’est pas parce je sais tout faire que je dois tout faire.
Si je m’écoutais, il y aurait des dingueries sur Vidalo$$a. Tu vois le morceau “One Kiss” de Calvin Harris et Dua Lipa ? Ben moi je suis capable de faire un morceau comme ça. Il y a pleins de trucs que je kiffe écouter et comme je sais chantonner, il y a pleins de choses que je pourrais faire. Mais parfois il faut savoir se brider pour garder une cohérence dans ce que tu amènes. Lorsqu’on t’écoute, il faut qu’on ait l’impression que c’est un nouvel artiste tout en reconnaissant ta patte. C’est un exercice qui est très difficile, mais quand on y arrive, c’est que la qualité est là. Si tu me dis que j’y suis arrivé alors ça me fait plaisir.
La difficulté, c’est de rester la même personne tout en se présentant sous un nouveau jour. C’est important de se renouveler dans notre industrie et de toujours proposer le “next level” de ce que tu faisais avant. Sinon tu deviens rapidement obsolète, tu tournes en rond et les gens se lassent, surtout aujourd’hui car il y a beaucoup beaucoup d’offre.
Dosseh porte une chemise Dior et une parka Koché.
HB : À l’époque de Nero Nemesis, Booba avait dit que le jour de la sortie, les fans demandaient déjà des nouvelles du prochain album. Les fans sont-ils de plus en plus exigeants ?
D : C’est difficile à croire, mais c’est tout le temps comme ça. Ça m’est arrivé qu’un son soit sorti depuis 30 minutes et de recevoir des messages : ”Ouais lourd ! À quand le prochain son ?”, mais apprécie déjà celui-là (rires) ! Les gens sont tellement habitués à consommer beaucoup de musique que c’est forcément plus dur qu’avant.
Il y a plus d’exigences en terme de renouvellement. Avant tu pouvais faire toute une carrière en rappant de la même façon et en proposant la même musique, mais aujourd’hui si tu fais ça tu es mort dans le film. Il y a tellement de jeunes qui arrivent avec de nouveaux flows, de nouvelles énergies que si tu ne te renouvelles pas, tu es vite hors-jeu.
HB : Où se situent tes limites artistiques ?
D : Mes capacités artistiques se limitent à ce que j’aime, tout simplement. Je fais uniquement ce que j’aime, autant au niveau de la musique qu’en acting. Quand j’aime quelque chose, j’assimile les informations plus rapidement, comme mon expérience au cinéma. Comme j’aime l’acting, alors je vais apprendre vite pour me frayer un chemin dans ce domaine.
Dosseh porte une chemise Sacai.
Karma, c’était un film totalement auto-produit, auto-réalisé, auto-joué, auto-tout (rires) ! Même Mouloud me l’a dit, lorsque j’ai fait Clique. Il m’a dit que la seule chose qui nous manquait c’était des moyens. Techniquement c’était crédible, on a fait ça bien et la plupart des gens étaient surpris du rendu alors qu’on a fait ça avec 3€, c’était artisanal. Quand on m’a appelé pour jouer dans un “vrai” film et avec des vrais acteurs comme Sami Bouajila, j’ai compris que c’était sérieux. C’est un honneur de jouer avec ce genre de professionnel et ça te permet de te situer personnellement, de voir ton niveau. D’ailleurs, j’ai pu assister à une projection privée du film et quand j’ai vu les scènes jouées par Sami ou Melanie Doutey, j’ai pris une leçon d’humilité (rires). C’est leur métier, c’est tout. En toute honnêteté, j’ai quelques facilités et quelques aptitudes pour ça mais on peut voir la différence entre un grand acteur et un mec qui sait jouer. C’était une leçon d’humilité pour moi et ça m’a donné envie de me perfectionner.
HB : Avec “Infréquentables”, Yuri, “Habitué” et maintenant Vidalo$$a, les signes que les planètes sont en train de s’aligner pour toi s’accumulent. Est-ce que ça paye finalement d’être un lo$$a ?
Finalement, ça paye d’être un lo$$a ! Ouais, ça paye sûrement un peu (rires). Les astres se déplacent depuis quelques années et là j’ai l’impression qu’on se rapproche de l’alignement parfait. Mais ce qui fait bouger les planètes, c’est le travail que tu fournis. Si tu restes dans ton lit, il n’y a aucune planète qui va bouger poto. Si les astres s’alignent pour toi à un moment donné, c’est que tu as fait quelque chose pour qu’ils bougent.
Je crois en Dieu et il y a toujours un moment où Il va te récompenser de tes efforts. Parfois c’est difficilement perceptible mais il faut savoir capter les signes car d’une manière ou d’une autre, Il va te montrer qu’Il te voit et qu’Il ne t’a pas oublié.