Le ciel azur, l’eau turquoise cerclée de monts rocheux, le doux bruissement des vagues mêlé au chant des premières cigales… La Fashion Week parisienne s’est achevée la veille, mais elle paraît déjà bien loin. A quelques encablures de Marseille, à la calanque de Sormiou, elle s’est trouvée un prolongement plus aéré, plus naturel… “plus solaire“, dirait Simon Porte Jacquemus, créateur de la marque éponyme qui a invité la mode dans ce qu’il désigne comme “l’un des plus beaux endroits du monde“. Pas de doute là-dessus. Dans cette crique, à laquelle on accède par une petite route sinueuse bercée par le bleu de la mer, on se croirait ailleurs. C’est pourtant chez lui. L’enfant de Provence, amoureux autant que fasciné par son terroir auquel il a toujours rendu hommage dans ses créations, a choisi ce bout de Sud pour présenter sa première collection Homme.

L’Homme, une petite révolution pour cet autodidacte prodige. Parti en solo en 2009 à seulement 19 ans et sans expérience notable pour lancer la marque Jacquemus, honorant le nom de sa défunte mère Valérie, Simon s’est vite attiré les regards pour sa vision d’une mode tangible, à la fois simple et sophistiquée. Doublé d’un certain sens de la mise en scène avec quelques happenings savoureux, il a gravi les échelons jusqu’à devenir l’un des plus jeunes créateurs à figurer sur le calendrier officiel de la Fashion Week de Paris en 2012, avant de remporter, trois ans plus tard, le Prix Spécial LVMH. Une ascension fulgurante dont on ne soupçonnait pas le virage masculin, annoncé lors de son dernier passage sur les podiums de la capitale cet hiver. C’est que l’amour, ce même sentiment éprouvé pour sa maman qui l’avait poussé à monter sa marque, a de nouveau frappé à sa porte. Il avait le visage d’un homme, Simon a voulu le raconter.

“Je suis tombé amoureux il y a un an, ça m’a donné un déclic”

“J’ai fait la Femme pour parler de ma mère et réaliser mes rêves, et je ne me voyais pas faire l’Homme juste pour créer de l’Homme. Je voulais le faire de manière sincère, je suis tombé amoureux il y a un an, ça m’a donné un déclic, une force. Je me suis dit ‘allez, je peux parler de l’Homme maintenant, j’ai envie de créer des histoires sur l’Homme’”, nous explique-t-il au bord de l’eau. Cette première histoire, il ne se voyait pas la raconter ailleurs que dans ce cadre idyllique. Parce qu’elle est étroitement liée à la Méditerranée, et que l’Homme Jacquemus est un « gadjo », comme l’indique le nom de cette collection. Ce terme gitan, qui désigne à la base un homme n’appartenant pas à la communauté, est une expression répandue dans le Sud pour simplement désigner un garçon. Gadjo, le gars du Sud, en somme.

Alors que débute le défilé, auquel les invités assistent à même le sable, pieds en éventail et glace à l’eau en main, les rappels à cette figure méditerranéenne sont palpables. Il y a la sono, qui crache successivement les titres “Bo Gosse” de Disiz, “Tu me plais” de K.Reen et Def Bond, et “Playa” de La Clinique. Les mannequins, loin des physiques parisiens, aux carrures très athlétiques. Et puis, ces pièces colorées, portées avec une attitude très “chemise ouverte, chaîne en or qui brille”. Si ça ne s’ambiance pas sur le Mia, le parallèle tient la route. Pas besoin de lui faire remarquer, Simon acquiesce : chaque look proposé sur cette petite plage, chaque vêtement de ce premier vestiaire estival, explorent les clichés entourant le gadjo.

L’Homme Jacquemus, un cliché subtil et poétique

“C’est ce mec qui sort d’un match de l’OM, c’est le mec qui est allé nager des longueurs et viendrait d’enfiler sa parka avec son petit maillot un peu ridicule, le mec qui va à un mariage avec une petite chemise tournesol assortie d’une cravate duquel on dirait ‘qu’il a fait une erreur mais on l’aime quand même’, c’est ce mec qui veut être un peu gitan de Camargue avec sa croix-chaîne en or et fait le beau gosse sûr de lui, le Provençal d’Arles… ce sont toutes ces histoires en une“, décrypte-t-il. Les pièces, “simples et colorées“, restent très Jacquemus dans l’esprit, mais dans un style qu’on qualifierait de “sportschic“. Le gadjo n’est pas le pendant masculin de Madame Jacquemus. “Elle est sophistiquée et sensuelle, il est plus jeune et naïf“, assure Simon qui, s’il puise dans les clichés, vante une approche subtile et poétique, caractéristiques qu’il a voulu magnifier par le site.

“C’est un lieu accessible, pas un lieu avec des resorts, des maisons blanches parfaites et une certaine élite à l’intérieur. C’est un endroit où tout le monde a droit à son bout de paradis. C’est fascinant, et c’est important dans la mode aujourd’hui, d’emmener les gens dans ce genre de lieux où la simplicité est juste magnifique et poétique“, continue le designer, pas peu fier d’avoir emmené dans son bout de paradis le petit monde de la mode. S’il avait déjà placé le Sud sur la carte par le passé, ce petit événement en calanque fera date. Il s’achève dans un coucher de soleil et une autre crique, sous des fonds sonores partagés entre un trio de guitaristes et du rap des années 90. Il y a des sourires sur les visages, certains se jettent à l’eau sous des regards amusés, juchés sur les coques de bateaux ou sur la petite jetée. Le Pastis coule à flots. Clichés encore ? Il se dit qu’il y a en chacun d’eux une part de vérité. Avec Jacquemus, il y a aussi, c’est vrai, une part de poésie.