"Avec Supreme, On A Le Premier Et Le Dernier Chapitre De L'Évolution De La Street Culture"

Entretien avec Fabien Naudan, vice-président d’Artcurial, qui organise la première vente aux enchères dédiée à Supreme.

Nous vous emmenions récemment dans ses coulisses, la première vente aux enchères dédiée à Supreme se tiendra ce mercredi. En marge de l’événement organisé par la maison Artcurial, son vice-président Fabien Naudan nous a reçus dans les locaux du 7 Rond-Point des Champs-Elysées. L’occasion de nous expliquer sa démarche, l’idée derrière la vente, et la constitution de cette sélection de 150 pièces qui, sans surprise, ne s’est pas faite en un jour. Surtout, Fabien Naudan tenait à mettre l’accent sur l’importance de Supreme dans l’évolution de la street culture, véritable objet de sa vente intitulée C.R.E.A.M. Morceaux choisis.

HYPEBEAST FRANCE : Pourquoi une rétrospective autour de la street culture ?

Fabien Naudan : C’est un projet qui a germé il y a deux-trois ans. J’approche de la cinquantaine, je peux avoir un regard rétrospectif sur 30 ans, et de mes 17-18 ans jusqu’à aujourd’hui, je me suis rendu compte qu’il y avait trois décennies qui se sont articulées de façon complémentaire, en chaîne : une décennie 90-2000 où il y avait beaucoup de choses spontanées, incontrôlées en termes de création, une période très underground et expérimentale sans perspective financière, commerciale ou marketing. Les choses se faisaient avec une grande liberté et une forme d’insouciance, que ce soit dans la musique, l’art ou le streetwear, toute cette culture urbaine qu’on n’arrivait pas encore à qualifier comme telle parce que les formes étaient floues et disparates, mais dont les acteurs ont pris position à ce moment-là. La décennie 2000-2010, où toutes les expérimentations deviennent concrètes et formelles, des sociétés se créent et se développent, des musiciens deviennent des stars, et tout un système se met en place. Et la troisième décennie, celle de l’aboutissement, où tout ce qui a été mis en place paye. On est dans une décennie où les créations sont moins évidentes, mais le retour sur investissement évident. Pour moi, c’était le terme d’une aventure, et je pense que nous, en tant que maison de ventes, acteurs de la culture, on a une mission qui est d’éveiller les gens sur l’importance de certaines pièces, certaines œuvres, de manière à ce que dans 20, 30 ou 40 ans, elles ne disparaissent pas, soient protégées. Parce qu’une fois qu’une pièce vaut cher, on y fait attention. On a un entretien autour d’une table de réfectoire pour des étudiants, si je vous dis qu’elle est estimée 300 à 500 000€, vous n’aurez pas le même rapport avec. Il faut vraiment porter une attention sur un certain nombre de choses, et je pense que les pièces qui sont présentées à cette vente sont marqueurs d’une époque, d’une génération, d’un état d’esprit. À ce titre, il faut les préserver, porter l’attention d’amateurs, de collectionneurs, qui n’étaient peut-être pas au courant, mais qui vont découvrir à travers cette vente l’importance de ce mouvement.

HF : Pourquoi centrer cette vente autour de Supreme ? Parce que la marque est le symbole de cette évolution ?

FN : Pourquoi Supreme, parce qu’on a centré cette vente intitulée C.R.E.A.M sur les États-Unis, et que pour moi, Supreme, c’est une sorte de fil rouge pour décrire et étayer nos propos. En effet quand on parle de l’évolution sur ces trois décennies, je pense que Supreme l’incarne complètement. Il y a une première décennie où on est dans l’appropriation, qui se termine en 2000 avec ces fameux “box logo” de réappropriation, les codes couleurs d’une autre marque de luxe. Ils commencent par détourner, emprunter Barbara Kruger, et terminent la décennie avec des grandes enseignes de luxe plus ou moins d’accord à l’idée d’être affichées sur des skates ou des t-shirts. Et en suivant Supreme, on arrive en 2017, presque 30 ans après, avec l’arroseur arrosé, et les grandes enseignes qui viennent frapper à la porte en métal de Lafayette Street en disant, “bon, comment on peut jouer ensemble, parce que nous ça nous amuse votre histoire“. À travers la marque Supreme, on a le premier et le dernier chapitre d’une histoire.

Photo Fabien Naudan Vice-Président Artcurial Pour La Vente Aux Enchères Supreme

HF : Et il y a aussi le fait que Supreme a rassemblé tous les courants de la culture urbaine…

FN : Tout à fait, si on rentre dans le détail de la marque, il est évident que Supreme a été à sa façon l’une des plus belles galeries du monde. Quand on voit la galerie des portraits à travers les planches de skate, on se rend compte qu’ils n’ont pas oublié grand-monde. Il y a bien sûr des artistes qui n’ont pas collaboré avec la marque, mais si on fait la liste de Damien Hirst, Jeff Koons, Richard Prince, Robert Longo, Baldessari… tous ces gens-là sont aujourd’hui des artistes de tout premier plan, et qui ont collaboré très très tôt avec la marque, on parle des années 2000. Donc il y a un vrai caractère visionnaire, une volonté de ne pas “vendre son âme” on va dire, en faisant venir à soi des grands noms de la culture, et de la culture urbaine avec Kaws, Futura, Rammellzee. L’idée étant de dire “nous on sait faire quelque chose, et on va rester sur ce qu’on sait faire“. Supreme n’a jamais voulu être une galerie d’art, n’a jamais voulu être autre chose que ce qu’il est, mais dans ce qu’ils savent faire, ils ont réussi à attirer le meilleur d’une scène.

HF : C’est ce qui vous a intéressé aussi, le fait qu’il y ait beaucoup de choses autour ? Quelque part, la street culture et Supreme racontent aussi une évolution de nos sociétés, comme vous le disiez dans la présentation de l’événement…

FN : Bien entendu, parce que la réappropriation, le détournement, ce n’est pas qu’un acte de rébellion, ça peut faire évoluer les choses, enrichir le débat. Je crois que le fait qu’autant d’artistes collaborent avec cette marque prouve qu’ils ne sont pas des pirates, des gens qui spolient, mais au contraire qui empruntent, agitent un peu le bocal, et le reposent en disant “voilà ce qu’on s’est permis de faire“. Ça raconte comment, à partir d’un vivier qui est connu, vu et appartient à tout le monde, c’est-à-dire notre environnement quotidien, l’environnement de grande ville, comment à partir de ça, quelqu’un va s’amuser à détourner, mettre un message derrière ces objets simples et classiques. C’est une affaire de regard, d’éveil sur un certain nombre de choses. Ça peut être positif, comme un message d’alerte. C’est l’un des buts des artistes. Communiquer une sensation, un message. En ça, Supreme, humblement, modestement, avec des objets du quotidien, est parvenu à transmettre un certain nombre de messages, a réussi à changer le regard de certaines personnes sur certaines choses, à mélanger des univers, et ça c’est intéressant. Supreme a réveillé le luxe, et lui a donné de nouvelles pistes. Ce serait être aveugle, ou indifférent à ce qui nous entoure, que de ne pas considérer qu’à travers une petite marque de skate montée en 1994, il y a des pans beaucoup plus larges d’une industrie du luxe qui se retrouvent aujourd’hui modifiés.

HF : J’ai vu que c’était aussi une mission pour vous, que de restituer au public cet ancrage culturel qu’on oublie souvent et qui fait pourtant partie de l’ADN de Supreme…

FN : C’est toujours délicat parce que les ventes aux enchères, c’est une place de marché, même si on essaie de faire des ventes où on travaille le contexte. Pour nous, c’était important, pas seulement de faire une vente de t-shirts, mais de vraiment dresser le portrait de cette scène, avec l’angle culture urbaine. Cette scène et ses acteurs ont à gagner à ce qu’on désenclave, et qu’on ne stigmatise pas celui qui s’intéresse à Supreme. Ce n’est pas qu’un jeune, ou qu’un gars qui met des baskets, ou qu’un gars cool. Ça peut-être des gens qui se disent : “c’est un phénomène de société, et un phénomène de société m’intéresse beaucoup, et il y a un témoignage intéressant à travers telle ou telle pièce“. On a essayé d’avoir le portrait le plus juste, le plus complet. C’est toujours compliqué, parce qu’on part d’une liste idéale, mais en refeuilletant ce catalogue et en analysant les retours qu’on a depuis quelques semaines, le retour est assez excellent, parce que les gens qui connaissent cet univers s’y retrouvent.

Photo Fabien Naudan Vice-Président Artcurial Pour La Vente Aux Enchères Supreme

HF : Vous parlez d’une liste, comment avez-vous fait votre sélection ?

FN : Le point de départ est le même que pour nos autres ventes. On se demande quelle serait notre liste idéale, la liste du Père Noël. Si on pouvait tout avoir, qu’est-ce qu’on voudrait. Sur certaines ventes, on se limite, on se dit qu’on ne prendra que 20 lots. Sur Supreme on ne s’est pas fixé de limites. L’idée n’était pas d’aller sur quelque chose d’exhaustif, de faire le catalogue complet de Supreme, mais de se demander à travers quelles œuvres, quelles pièces on pourrait raconter l’histoire qu’on voulait raconter. On est parti de ce principe, et ça a pris, entre les premiers échanges et aujourd’hui, presque deux ans. Là où ça a changé par rapport à notre méthode habituelle, c’est qu’on a toujours à faire avec des gens au courant de notre manière de fonctionner. Mais là je me suis retrouvé face à des gens, en mars 2017, leur disant qu’on ne vendrait qu’en mai 2018, qu’ils ne seraient payés qu’un an après, et qu’on repartait avec leur skate… ça a été très compliqué. C’est un peu comme faire rentrer 50 serpents à sonnette dans une boîte de chaussures : il y a celui qui va vous mordre, celui qui vous file entre les jambes, celui qui part devant, celui qui fait semblant de dormir puis se sauve… oui, ça a été très compliqué.

HF : Comment la situation s’est-elle débloquée pour aboutir sur ces 150 pièces ?

FN : On a essayé d’expliquer aux gens. Bien sûr ils peuvent vendre leur t-shirt sur Internet, mais on leur a dit qu’ils pouvaient aussi participer à quelque chose d’un peu plus riche, d’un peu plus large, qui fera date. On a commencé à expliquer tout ça, certains n’ont pas été réceptifs, d’autres oui. Et ceux-là ont eu l’intelligence d’en parler autour d’eux, étant convaincus du projet. Ça a été dur pendant quelques mois, puisqu’on s’est heurté à un autre système, mais une fois qu’on a expliqué quel était notre projet, comment on a fait dans d’autres domaines et pourquoi c’était bien de le faire comme ça, on s’est retrouvé avec des ambassadeurs dans le monde entier. Ça a pris de la vitesse, une vraie tournure. Après, on a fait beaucoup d’arbitrage, on s’est passé de personnes qui voulaient trop spéculer, on n’a pas voulu tout prendre. Ça a été des hauts, des bas. Deux ans pour réfléchir, mettre en place le système, voir comment on allait approcher ça, sélectionner l’angle, se recentrer sur Supreme et sa galaxie.

HF : Et comment avez-vous trouvé ces objets ? 

FN : C’est notre métier. Vous êtes plus interpellés par la manière dont on trouve des gants de boxe ou des malles, mais des gens me demandent comment j’ai trouvé des fauteuils de Prouvé. Même principe. Partis de notre liste idéale sur Excel, on a mis des noms en face des objets, des idées pour les trouver, chez qui aller frapper. Des fois il y a de grands blancs, donc on espère qu’à travers telle ou telle personne on parviendra à remplir la case. Du reste, il faut sortir, il faut aller voir des gens, il faut essayer de rencontrer, expliquer. Faire plein de rencontres inutiles qui vont s’avérer utiles et porteuses, et expliquer, et convaincre. En dehors du fait que les acteurs qui sont intervenus sur la vente n’étaient pas très au fait des enchères, c’est le même process. Partir d’une idée, trouver, sélectionner, épurer, organiser, ordonner. Et puis s’amuser, se faire plaisir, faire plein de rencontres avec des gens assez incroyables.

HF : Est-ce qu’il y a des objets que vous n’êtes pas parvenus à avoir ?

FN : Il peut me manquer 4-5 objets pour faire la vente idéale. Encore une fois, la perfection n’est pas ce que l’on vise, sinon on continue toujours la quête et on y est encore dans 10 ans. Ce n’est pas le propos. Cette vente on aurait voulu la faire idéalement il y a six mois. Si ça n’avait pas été si long au démarrage on aurait pu, mais voilà, on est quasiment à l’aboutissement de ce qu’on attendait. Alors oui, il manque peut-être une ou deux planches qu’on aurait voulues qu’on a pas eues, un ou deux objets, mais c’est somme toute assez minime.

Photo Fabien Naudan Vice-Président Artcurial Pour La Vente Aux Enchères Supreme

HF : De quelle pièce êtes-vous le plus fier ?

FN : C’est une vente très protéiforme, très variée. Je n’aime pas tout, mais certaines pièces m’évoquent des choses importantes. Barbara Kruger, c’était impossible de ne pas l’avoir. Mais l’idée n’était pas d’avoir une belle toile, ce n’était pas le propos de cette vente, alors qu’un shopping bag, une pièce modeste, humble, qui date de 1990 et dit “I Shop Before I Am“, pour moi, c’était important, parce qu’en face je peux mettre six t-shirts “bog logo” des ouvertures de boutiques et quelque part dire : “Est-ce que c’est Barbara Kruger qui fait un t-shirt box log en papier avant l’âge, ou est-ce que c’est Supreme qui fait des paper bag en coton X années après ?” On a voulu avoir des référents en dehors de la marque pour mieux la comprendre, et pour moi cette pièce c’est la petite étincelle, la fragilité, le caractère super humble mais qui d’une certaine façon va être le déclencheur de tout ça. J’aime beaucoup aussi les symboles de toutes les aventures, donc un “box logo” est magique pour moi : à travers ce logo qui n’en est pas un, cette typo qui n’a rien de spécial, mais qui est aujourd’hui aussi populaire que le drapeau d’une nation. C’est incroyable la puissance de cette image. Un “box logo” figurerait donc dans ma liste. Après, la collaboration avec Louis Vuitton a donné lieu à des produits extrêmement beaux, raffinés, qui donnent un coup d’éclat et un regard différent aux produits de Vuitton, c’est un des marqueurs importants de la vente. Et puis la planche de skate, c’est un magnifique support, et celles de Richard Prince sont pour moi de beaux objets avec lesquels je vivrais facilement.

HF : On voit que des estimations sont déjà apposées sur les pièces… Comment avez-vous déterminé leurs valeurs ?

FN : C’est toujours le débat. Les prix, les valeurs des œuvres, comment c’est calculé, est-ce que c’est raisonnable… là-dessus, moi, en tant que spécialiste et acteur d’une maison de ventes, je suis extrêmement à l’aise : le prix sera déterminé par un équilibre ou un déséquilibre entre l’offre et la demande. Et à partir du moment où une pièce est mise sur le marché, si personne n’en veut elle ne sera pas vendue, et si quelqu’un en veut, même à un prix très cher, c’est qu’il aura eu au moins un concurrent en dessous de lui qui l’aurait voulue à quelques centaines d’euros près.

HF : Artcurial frappe en tout cas un grand coup avec cette vente. Est-ce que vous continuerez d’agir sur la culture urbaine dans le futur ?

FN : Cette vente est un focus sur l’Amérique du Nord, ce n’est pas parce qu’on considère qu’il n’y aura pas de culture urbaine au-delà, bien au contraire, on aura probablement dans l’avenir d’autres projets sur la culture urbaine en dehors des Etats-Unis. L’idée est de ne jamais refaire deux fois la même chose, donc même si on traite d’une autre zone géographique ou d’une autre époque, on ne le fera pas à la manière de la vente C.R.E.A.M. Après, Artcurial, depuis 10 ans, a développé un département sur l’art urbain. Avec des ventes dédiées et catalogues dédiés. On ne débarque pas là-dedans. Je ne veux pas nous inventer des lettres de noblesse qu’on n’a pas, mais la culture urbaine, bien qu’on ne soit pas les seuls, on n’a pas découvert ça hier. C’est quelque chose auquel on croit fortement, c’est quelque chose avec lequel on vit ici chez Artcurial à travers des interventions d’artistes, des signatures. On est une caisse de résonance, un catalyseur, un porte parole, et quand on fait les choses, on les fait avec passion.

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