Les Journalistes De Rap Ont-Ils Peur Des Rappeurs ?

Prise de conscience.

Musique 

Une question que nous nous posions depuis bien longtemps, et que nous avions même formulée ainsi au départ : “Les journalistes de rap ont-ils peur de Booba ?“. Le rappeur de Boulogne-Miami était une cible choisie pour la simple raison qu’après une revue de presse élargie, il apparaissait impossible de mettre la main sur une critique “objective” de ses derniers albums, ainsi que le relevait déjà YARD dans un éditorial. Personne pour parler de l’évolution de la musique de Booba de façon constructive. Non, tout était “bre-som”, tout est “bre-som”, mais est-ce que tout doit rester “bre-som”? En poussant la réflexion un peu plus loin, on peut se demander si les journalistes/médias de rap n’ont pas peur de critiquer les rappeurs, tout court.

“Le rap français est devenu une grande famille, où on tente à tout prix de défendre les rappeurs, de les accompagner, nous confie Lola Levent, chroniqueuse pour l’émission No Fun. On défend un mouvement en étant toujours positif. C’est la mouvance du moment. C’est un état d’esprit que l’on retrouve dans plein de médias rap. Tout simplement parce que c’est un courant musical qui a été attaqué par les médias mainstream à de nombreuses reprises. Maintenant il existe aussi des médias qui font des critiques objectives”. Une omerta volontaire existe donc dans les médias rap. Elle est totalement assumée chez Booska-P.

Exemple B2O, le média avait choisi de ne relever que les points positifs de l’interview de Booba donnée à M Le Magazine du Monde. Dans cette entrevue le DUC expliquait posséder plusieurs armes à feu : “si un cambrioleur entre chez moi, j’ai le droit de le tuer, et je trouve ça très bien !” s’exclamait-il, ravi de vivre aux Etats-Unis, un pays où le port d’armes est sympathiquement légal. Dans l’article récap de Booska-P, cette partie avait été omise. Fif, co-fondateur du site, nous l’avait confié : le média a décidé de ne plus relayer les clashs, ni même les informations polémiques liées à un mouvement dont il se pose en défenseur depuis maintenant 13 ans. Un choix qui veut répondre à un traitement réservé au rap dans les médias mainstream, comme l’introduisait donc Lola Levent, et qu’on peut résumer par la posture ”si ‘nous’ on ne parle pas en bien de notre culture, alors qui pour le faire ?”. C’est louable. Mais peut-être obsolète.

Dinos à La Cigale. Crédit photo : Jérémy Razasan pour HYPEBEAST FRANCE

Ce constat renvoie en effet à une époque aujourd’hui quasi révolue, où le rap était regardé avec défiance – pour ne pas dire mépris. S’il y a encore quelques vieux de la vieille de la télé qui accueillent parfois un artiste avec des yo-yo gênants (on se rappelle de VALD chez Ardisson), on s’accordera tous pour dire que c’est sans commune mesure avec des interviews du style Fabe/Nagui ou NTM/Ruth Elkrief, auxquelles ladite posture fait référence. Aujourd’hui, le rap est la musique la plus écoutée du monde. Le rap n’est plus le sous-ensemble d’une contre-culture. Il est la culture. Disons-le même, le voilà presque (déjà?) mainstream. Même Nagui et Ruth sont au parfum, et se font petits. Alors il faut en avoir conscience, et adapter son traitement médiatique en conséquence. Un traitement qu’on voudrait complet et impartial. Omettre, choisir de ne pas dire, sélectionner une seule information n’est pas forcément mentir, mais c’est en tout cas diriger vers une façon de penser, de voir et de réfléchir. Et à tendre vers l’uniformisation qu’induit ce choix, il faut se demander si on ne dessert pas l’audience en annihilant son esprit critique.

“Avec le boum du rap sont apparus de nombreux médias spécialisés rap… Des sites très jeunes.  L’avènement de ces sites là date de 2013, 2014, c’est extrêmement récent. Il est là le cœur de la question : le journalisme rap manque de maturité”, nous explique Tarik Chakor, Maître de conférences à l’Université Savoie-Mont Blanc et chercheur en management du rap (Fianso l’avait invité dans son épisode 8 de la saison 2 de Rentre dans le cercle). ”Beaucoup de gens qui tiennent ou ont lancé ces sites-là sont à la base des fans qui pendant des années et encore maintenant continuent d’écrire parce qu’ils sont des passionnés. Ce n’est pas une critique mais une constatation. Je me rappelle d’une interview de Fif de Booska-P qui disait : ”quand un projet ne nous plait pas on en parle pas”. Et c’est là qu’on peut se dire que le journalisme rap a encore des progrès à faire en terme d’objectivité. Imaginez un journaliste politique ou culturel dire ça ? Imaginez le tollé”. L’Universitaire fait la comparaison avec le journalisme sportif : “On a eu une période aussi où certains articles ou chroniques n’étaient pas écrites avec les bases journalistiques, depuis, les passionnés de sports sont passées par ces étapes. Le rap lui, n’est pas encore arrivé à la maturité du journalisme sportif”. Pour critiquer un subterfuge existe, celui de laisser les autres parler avec des articles du type “Les Twittos se moquent de [insérez ici le nom d'un rappeur]“. Histoire de faire passer la pommade.


OrelSan à Bercy. Crédit Photo : @ahtlaqdmm/HYPEBEAST FR

Raphaël Da Cruz, journaliste chez l’Abcdr et chroniqueur dans l’émission No Fun sur Deezer aux côtés de Mehdi Maïzi et Lola Levent, regrette lui aussi l’absence de critique au sein de médias qui se sont multipliés depuis le boom du rap, qu’il situe à la prise en compte du streaming à l’été 2016. “C’est important de savoir pourquoi un artiste s’est planté quelque part alors qu’il a pu réussir ailleurs. Nous ne sommes pas malveillants, c’est aussi ça que l’artiste doit comprendre. Le rap est dans un état d’esprit où tout va bien depuis deux ans alors forcément si on dit ‘bon ok ton album est bien mais il y a peut-être des choses qui musicalement n’ont pas fonctionné, ou vous vous êtes plantés là dessus’, c’est peut-être pas facile à entendre mais il faut qu’ils entendent“, assure-t-il, introduisant donc, aussi, la responsabilité des rappeurs.

En effet, il y a les artistes. Overdosés de louanges, ne finiraient-ils pas par ne plus accepter d’être chahutés ? On se rappelle de l’histoire entre Fif de Booska-P et Booba (racontée récemment dans Fif Story). Pour une critique sur son album, Booba a boycotté et continue de boycotter le média leader sur le rap en France. Plus récemment, c’est Lola Levent qui a fait les frais d’une critique. Il y a quelques jours, elle a été qualifiée de “bouffonne” par le rappeur Lomepal. Les raisons de cette insulte ? Dans l’émission “No Fun Show” diffusée sur Deezer et consacrée au nouvel album de Lomepal “Jeannine”, la jeune femme a osé une comparaison entre le rappeur et son homologue Prince Waly. “L’élève a sûrement dépassé le maître”, a lancé la journaliste (ici à partir de 28 min). Une remarque qui n’a pas plu au concerné.

Bouffonne, donc. L’insulte balancée en live sur les réseaux sociaux est alors potentiellement lue et relayée par les 570 000 abonnées de l’artiste. Un ouragan pour la journaliste, qui reçoit des centaines de messages d’insultes. Qui proviennent d’inconnus, mais aussi de personnalités de notre éco-système comme le réalisateur Adrien Lagier (derrière le clip Rêves Bizarres d’OrelSan et Damso). “Sombre pute (…) pire merde humaine (…) Ta mère doit être une aussi grosse pute que toi”, autant de phrases d’une violence extrême balancées en DM. Comme d’habitude le rapport femme-péripatéticienne s’instaure. Parce que c’est bien connu, les femmes, Lola Levent compris, font leurs chroniques en direct du trottoir. Cette chronique-ci aussi, d’ailleurs.

Un autre journaliste résume le phénomène par un laconique “les rappeurs sont susceptibles“. La peur d’éventuelles représailles pourrait ainsi pousser les rédacteurs à adapter leur plume, et omettre la critique au profit d’un traitement du rap seulement sous le prisme du “whaoupa”, cette devise journalistique qui vise à ne parler qu’en bien d’un artiste, d’une marque, d’un événement. Mais là encore, ne faudrait-il pas se demander si la susceptibilité des rappeurs, certes souvent affichée et ici dénoncée, ne découlerait pas justement de la complaisance journalistique qui a rendu les critiques négatives si rares (les rendant donc incomprises) ? “Avec l’avènement du rap de nouveaux sites sont apparus. Le pendant de tout ça, c’est que pour que tous ces sites soient alimentés et aient accès aux rappeurs (interviews…) il faut qu’ils soient complaisants avec les artistes, attachés de presse… On est tombé dans un cercle vertueux. Je ne suis pas sûr que les journalistes aient peur des rappeurs, ils ont peur de perdre l’opportunité de faire des contenus avec des acteurs musicaux qui sont aujourd’hui majeurs”, détaille Raphaël Da Cruz.

Quant à savoir si cette complaisance qui peut virer au copinage n’entraînerait pas un traitement erroné ou au pire une censure, Lola Levent débraye : “Je ne sais pas, en tout cas moi je vois beaucoup d’amour dans ce milieu-là, mais comme dans une famille, il y a parfois des disputes”. Une famille. Voilà une nouvelle donnée dans l’équation complexe entre journaliste et rappeur. La relation qui s’est installée entre ces acteurs. Le journalisme web a ouvert la porte à de nombreux journalistes qui comme les rappeurs se sont faits sur le ter-ter. Si on ne se connait pas, on vient du même quartier, on a des enfances similaires, des expériences similaires. “On se sait”. Difficile donc de critiquer un “ami” et de recevoir la critique d’un des “siens”. Et c’est aussi de là que vient le danger. “Il y a forcément danger quand il n’y a plus la place pour la critique. En absence de critiques constructives on n’élève pas le débat mais je pense que cela viendra avec le temps des deux côtés. Les journalistes rap se diront qu’ils peuvent appréhender le rap autrement avec objectivité, prise de recul, croisement des informations… ce qu’on apprend en école de journalisme. On peut prendre parti mais un journaliste n’est pas fan, le positionnement est différent, il doit laisser l’émotionnel de côté lorsqu’il traite l’info. Mais il faudra du temps”, nous confie Tarik Chakor.


Crédit photo : Artspace Studio pour HYPEBEAST FRANCE

“Certains n’ont pas connu les années “difficiles” du rap, ils sont nés avec le rap français. La vie étant faite de boucles d’apprentissages on se rendra compte qu’on peut faire une critique prolifique pour son média et le rap en général. On est dans une “américanisation” de nos contenus, “it’s amazing, I love what you do”, mais nous on n’est pas dans cette culture de superlatifs”, conclut le Maître de conférences. Un avis partagé par Raphaël Da Cruz de l’Abcdr du Son : “C’est prendre le lecteur ou le public pour des idiots que de leur dire tout va bien, tout est bien. Il faut savoir avoir un avis critique au risque que ça puisse froisser. Si on regarde l’affaire Lomepal, au final c’est plus sa réaction à lui qui a terni son image que la critique de la journaliste. Quand on est journaliste musical on l’est de façon passionnée, c’est parce que tu aimes profondément un genre musical que tu te lances là-dedans et du coup je vois ça un peu comme une amitié. Si tu veux être un bon ami, tu dois être un ami franc. Si quelque chose ne va pas chez quelqu’un que tu aimes il faut savoir lui dire”. 

Le web serait-il devenu un quartier, une famille donc, où les rappeurs jouent les grands-frères tortionnaires ? Pas sûr, mais à force de les choyer, peut-être en avons-nous fait des enfants gâtés. Et à force de les aduler, on peut se demander si nous ne serions pas devenus ce que nous reprochons parfois au rap français. Une masse de contenus uniformes, une inertie. Tous les mêmes, tous les mêmes. Et y’en a marre ?

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